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von Fellenberg Theodor

Issu d’une famille suisse privilégiée alliée à celle de Pierre Cérésole, Thedy a consacré une grande partie de sa vie au SCI comme volontaire, puis comme Secrétaire international. Il a conservé ensuite un esprit de volontariat et a continué à exercer une activité militante, notamment pour l’écologie.

Origin of the text
Olivier Bertrand: Breaking down barriers 1945-1975, 30 years of voluntary service for peace with Service Civil International.
Paris (2008)

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Theodor von Fellenberg

Un idéaliste confronté aux réalités de l’engagement volontaire

Il y a exactement 50 ans (en 1956 [1]) que j’ai rencontré le SCI pour la première fois. Je m’engageais pour une action d’étudiants de l’Université de Berne en faveur de la population de Budapest (suite à l’intervention soviétique). Dans l’attente de mon départ pour la Hongrie, j’ai fait la connaissance d’un homme au visage sévère mais amical, qui attendait également un visa. C’était Ralph Hegnauer, un Suisse comme moi, mais plus farouche, objecteur de conscience.
Il m’a expliqué le but du SCI : promouvoir la paix et l’amitié entre différents peuples par des actions concrètes, réalisées ensemble en faveur de personnes défavorisées. L’idée me plaisait. Je suis resté fidèle à cet idéal toute ma vie, comme « lifelong volunteer ». Aujourd’hui j’ai 71 ans. J’écris ces lignes dans l’avion en route pour une réunion d’anciens militants du SCI. Ces personnes sont restées des amis pour la vie.
Il est difficile de formuler ma motivation initiale après 50 ans d’une vie qui m’a plongé dans des activités très variées. Je suis le cadet d’une famille plutôt bourgeoise et d’un milieu socialement privilégié (Pierre Cérésole appartenait à ma famille maternelle). Mon père était notaire, mais critique envers la classe aisée dont nous faisions partie. J’ai été marqué dans ma jeunesse par l’esprit calviniste mais tolérant qui régnait à la maison. C’est ainsi que j’ai adopté le point de vue suivant lequel on n’est pas seulement sur terre pour jouir de la vie, mais aussi pour utiliser ses propres privilèges pour venir en aide aux personnes défavorisées. En même temps, comme jeune homme, j’étais très critique vis-àvis de l’église. Je cherchais une forme de solidarité non liée à une religion, ni à une classe et surtout exprimée en action concrète. Voilà ce qui m’intéressait au SCI. Mais le fait d’avoir rencontré une personnalité forte comme Ralph était également important.
Au cours des années vécues avec le SCI, j’ai naturellement aussi fait l’expérience des faiblesses d’un engagement volontaire, marqué par la sérénité et la fidélité, mais qui m’a conduit à plus de distance par rapport au mouvement.

Des expériences multiples avec le SCI

a) Volontaire en Inde, Corée, Japon
Après notre première rencontre, Ralph voulait m’engager pour un chantier international, comme il n’était qu’en congé du SCI. Mais il fallait d’abord faire un chantier dans son pays, la Suisse. J’ai ainsi fait un chantier « pelle et pioche » dans le Jura bernois. J’étais très étonné d’être le seul Suisse. Ralph voulait ensuite m’envoyer avec une équipe dans la région de Suez, détruite par l’intervention militaire franco-britannique. Mais j’ai été le seul à obtenir le visa égyptien, les autres visas étant refusés pour raisons politiques (affiliation juive). Donc cela est tombé à l’eau.
Je me suis alors intéressé à un service en Inde. Etant très idéaliste, je pensais pouvoir lutter contre la pauvreté avec « deux bras et deux jambes saines ». En attendant, j’ai participé à un service dans la région du Borinage (les mines de charbon) en Belgique, pour aider les « Chiffoniers d’Emmaüs ». Me voilà donc, « jeune homme de bonne famille », au milieu d’un groupe de chômeurs, d’alcooliques et de vagabonds ! La branche suisse hésitait à m’envoyer en Inde. Comment envoyer un « bourgeois », un « petit noble », comme représentant d’un SCI «ouvrier » ? Quand j’ai déclaré que j’étais prêt à y aller moi-même, à mon propre compte et s’il fallait en vélo, on m’a finalement accepté.
J’ai servi pendant une année comme volontaire à long terme en Inde : à Chirian Najar (Madras), auprès des réfugiés tibtains (Simla), à Trivandrum (Kerala) et sur un chantier dans le Kerala. Dés mon arrivée, Devinder et Valli (voir chapitre 3) m’ont envoyé au Sri Lanka comme membre de la première équipe internationale venue dans cette île pour tenter d’implanter le SCI. Malgré un leader charismatique, D.A. Abeysekara, cette tentative a échoué. J’ai été assez frustré pendant tout mon temps de service en Inde. Une fois même, épuisé par le froid, le manque d’argent et d’une tâche utile dans les Himalayas, j’ai « déserté ». Mais malgré ma famille, j’ai juré de tenir ma promesse et de finir mon mandat d’une année. Ensuite, j’en avais tellement assez du SCI que je me suis mis à vagabonder autour du monde. Mais arrivé au Japon, j’ai établi une amitié si profonde avec Phyllis et Sato (chapitre 3) que j’ai rejoint un chantier en Corée du Sud et un service dans une ferme dans l’île d’Hokkaido. C’était tout.
Cette expérience de volontaire impliquait un travail manuel parfois dur (ce que j’aimais), parfois trop « easy going », rarement bien organisé, souvent sans discussion approfondie.

Il y aurait un million d’anecdotes à raconter. Deux se réfèrent au projet de construction de maisons au Kérala où j’étais responsable de chantier. J’étais en mauvaise santé, j’avais de l’asthme dû au climat humide et, comme je ne pouvais pas dormir, je me promenais la nuit dans la ville, chassé par les chiens. Quand Valli est venue me voir, je me suis plaint de l’inutilité du travail. Elle n’était pas impressionnée et m’a dit : « Le travail n’est pas si important. Combien t’es-tu fait d’amis indiens ? » En effet : personne ! Quand j’ai visité le projet plus tard, rien de ce qui avait été entrepris n’avait continué après notre départ. Mais les gens me consolaient : « Ce n’est pas important. L’important, c’est que tu étais là avec nous ».


b) Surmonter les désillusions et les tensions au Secrétaire international

Mes attentes étaient trop élevées. Après mon volontariat, j’étais totalement désillusionné : tout cela n’était pas sérieux. Pourquoi ai-je alors déposé ma candidature pour le poste de Secrétaire international en renonçant à une carrière lucrative ?  onvaincu de la force des ONG à la base pour « changer le monde », je croyais pouvoir améliorer le SCI en prenant cette responsabilité. Mais là aussi je devais comprendre que je n’avais pas les compétences personnelles, ni le pouvoir de réformer le SCI. La devise de beaucoup de jeunes restait : « Le travail volontaire n’oblige à rien ». Et la période était difficile.
Elu sur demande de mon « tuteur » Ralph, j’ai assuré la coordination internationale pendant six ans.
Comme le SCI avait eu de la peine à trouver une personne compétente pour un salarie minime, j’ai renoncé à une carrière dans mon travail précédent au sein de l’administration suisse pour la coopération internationale, car je ne voulais plus faire de politique – bien que notre équipe ait été progressiste.
Sato m’avait prévenu : « You will walk on fire ». En effet, je me trouvais entre “la gauche” (les Italiens, Allemands et Belges) qui voyaient un SCI plus politique et « la droite » (Anglais, Français, Suisses, branches asiatiques) qui voulaient seulement servir les pauvres. Pour les « progressistes » j’étais un « réactionnaire », pour les traditionnels, j’étais trop ouvert envers ceux qui cherchaient la cause de la détresse. Je me débrouillais, mais peut-être à cause de mon origine bourgeoise et de ma formation, je me sentais toujours un peu à l’écart. L’amateurisme du SCI et le fait que le travail volontaire n’obligeait à rien me décourageaient. Comme personne active, j’avais l’impression de perdre mon temps. J’ai donc quitté.
Mais l’expérience unique qui avait consisté à transférer le Secrétariat international sur un alpage suisse a été une triple bénédiction :
- l’environnement naturel, avec beaucoup de travail manuel, m’a évité de m’étouffer sous la paperasse du bureau et m’a toujours conservé un souffle frais ;
- je n’étais pas seul, mais aidé par une équipe internationale de volontaires européens et asiatiques qui vivaient avec ma famille et l’on avait beaucoup de visites ; .
- il y a eu des gens qui ont apprécié cette originalité d’un bureau installé dans la nature, par exemple l’organisation canadienne de coopération. Le désavantage de cette localisation rurale, c’est qu’il était difficile d’être à la fois paysan et administrateur du SCI : quand j’étais dans mes champs, je pensais au Bangladesh et aux actions d’urgence ; quand je visitais les branches du SCI, je pensais aux foins à faire. Mais de ce temps où j’étais Secrétaire international, je retiens une amitié profonde qui durera toute ma vie avec beaucoup de membres du SCI qui figurent dans ce recueil.

Persistance de l’esprit du SCI

Je n’ai pas conservé un rôle actif au sein du SCI. Après ma démission et mon retour de la montagne, je me suis entièrement occupé de problèmes écologiques, qui me paraissaient de plus en plus importants.
On ne se battra plus pour la justice sociale et pour la paix si la survivance de l’humanité est mise en question.
Mais l’esprit du volontaire à long terme ne m’a pas quitté. Quand les peuples de Yougoslavie ont commencé à se massacrer au cours des années 90, je suis parti comme volontaire du SCI (j’avais 59 ans) en Croatie et les années suivantes en Bosnie, en Serbie et au Kosovo. Avec l’Intifada en Palestine, je me suis rendu en Cisjordanie comme observateur du Conseil oecuménique des églises en 2003, puis en 2004 en Israël pour connaître « l’autre côté ». Je continue à m’engager à 71 ans. J’ai renoué les liens avec le SCI en fondant le « Ralph Hegnauer Solidarity Fund » qui finance des projets innovants.
Si on me paraît représenter la valeur du SCI aujourd’hui, c’est toujours l’attitude individuelle du volontaire, qui crée des liens d’amitié avec des personnes d’autres cultures et pratique la solidarité avec les défavorisés en rendant un service concret. Dans ce sens, rien n’a changé. Mais comme il existe aujourd’hui des milliers d’ONG à l’oeuvre pour la paix, ce n’est plus la conviction idéologique des fondateurs qui compte, mais un sentiment de compassion, d’apprentissage d’une autre réalité, la curiosité vis-à-vis d’autres pays et la solidarité comme telle. Ce qui reste du SCI pour ma vie, c’est la simplicité, même la naïveté d’agir n’importe où en ignorant les frontières et sans ambitions.

 

[1] Texte écrit en 2006.




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