Juliet (Hill) Pierce
Aspiration à un monde meilleur
Je suis née en 1946, petite fille d’un pasteur méthodiste, élevée dans une famille fortement influencée par les valeurs chrétiennes plutôt que par les croyances religieuses. Mon père avait pour slogan « A chacun son dû ». Il insistait pour que mon frère et moi fassions chaque jour notre B.A. (bonne action pour les Scouts). Ma famille avait des aspirations de classe moyenne, mais nous vivions avec un revenu modeste et une philosophie d’autonomie et de débrouillardise.
A l’école de filles, nous étions influencées par une directrice très convaincue des idéaux des Nations unies. Elle était allée travailler pour l’éducation au Soudan avec l’UNICEf et elle s’attendait à ce que nous en fassions autant. On nous inculquait des idées de service et de la nécessité de faire quelque chose pour compenser notre situation de privilégiées.
Je faisais partie des baby boomers, élevés dans une période de reconstruction après la guerre, vivant dans des logements construits sur les sites bombardés à Londres, avec l’aspiration à un monde meilleur après les destructions et l’austérité des années de guerre. Je suis arrivée sur le marché du travail dans une période de prospérité : les glorieuses années 60. Etant donné le quasi plein emploi, je ne risquais pas d’être au chômage après quelques années de volontariat.
Premier contact avec le SCI/IVS
J’avais été encouragée à poursuivre des études supérieures par mes professeurs, mais j’ai voulu faire quelque chose de plus pratique et j’ai suivi une formation de kinésithérapeute. A cette époque, j’ai remarqué une affiche de l’IVS dans une gare montrant des jeunes faisant de la rénovation pour des personnes âgées. J’ai noté le numéro de téléphone et ai parlé avec John Higgins qui m’a invité à un week-end avec le groupe IVS de Sutton.
Après mon diplôme, j’ai participé à mon premier chantier international, pour construire un terrain de jeux pour enfants en Allemagne. Puis j’ai eu mon premier emploi à Southampton. Alors que ces travaux de peinture étaient finis pour moi, je me suis retrouvée dans un appartement située au-dessus de celui du président du groupe local. C’est ainsi que j’ai commencé à en apprendre davantage sur les idéaux du SCI et sur son origine pacifiste. Tout en participant à des chantiers de rénovation, nous avons collaboré étroitement avec les services sociaux pour animer un club de jeunes pour les gens du voyage et un club pour jeunes handicapés. Il m’est arrivé un jour de m’adresser à un très nombreux public à Southampton pour présenter le SCI et le volontariat.
A cette époque, j’ai reçu une lettre de John Hitchins, alors volontaire au bureau du SCI en Inde. Il demandait un kinésithérapeute volontaire pour une léproserie à Delhi et j’ai décidé de poser ma candidature.
Chez les lépreux : 1970-72
J’ai finalement été sélectionnée et j’ai suivi une session de préparation de l’IVS et une journée formation des volontaires médicaux organisée par le Programme britannique pour le volontariat. En novembre 1970, je suis arrivée en Inde pour travailler à la léproserie de Shadara, mais auparavant j’ai suivi une période très utile d’orientation à Delhi avec John, Bhuppy, Valli et Seshan, ainsi que leur fille Subi, âgée de 4 ans.
Valli m’a aussi emmenée à Janpath pour apprendre à manger le masaï dosa et pour acheter des vêtements indiens adaptés à mon premier chantier. Le chantier concernait une nouvelle léproserie (Anand Gram) et consistait à enlever les pierres et à monter des levées de terre autour des champs de riz. C’était un travail physiquement dur et il faisait très chaud. Je devais m’efforcer de manger suffisamment et de boire avec la jarre commune sans la toucher.
Le soir, nous écoutions des conférences de Baba Amte sur différentes questions. Durant cette période post-soixante-huitarde les volontaires européens n’avaient pas l’habitude d’écouter les personnes âgées sans les contester. Je me souviens que Baba Amte supportait mal cette contestation et nous avions des discussions intéressantes sur l’autorité, sur le droit et sur la bonne manière de respecter les différences culturelles.
Un grand moment durant ce chantier a été la rencontre avec Sashi Rajagopalan et Monique (aujourd’hui Michels), leur interprétation des idéaux du SCI et leur rire en entendant Dinesh Jesrani s’efforçant indéfiniment de jouer le chant « We shall overcome » sur sa guitare.
Comme kinésithérapeute, je devais contribuer à la rééducation des patients avec une chirurgie réparatrice. J’avais été formée par des spécialistes au Royaume-Uni, mais il m’avait été recommandé de visiter un éminent plasticien de Bombay pour bénéficier de sa compétence en ce qui concerne les lépreux. Après le chantier, je suis donc allée à Bombay où j’ai séjourné chez Dinesh. L’entretien avec le chirurgien a été en soi une expérience, puisque le seul moment où il a pu me parler a été dans la salle d’opération où il m’a demandé de le rejoindre où il pratiquait la chirurgie esthétique sur une personnalité de l’élite de Bombay.
La dernière étape de ma période de formation m’a amenée à assister à la réunion nationale du SCI indien à Jabalpur à la fin décembre 1970 où j’ai pu rencontrer des membres venant de l’Inde tout entière. Il y avait aussi d’autres volontaire à long terme étrangers et à l’un des repas je me suis trouvée à côté d’un Anglais jeune et idéaliste habillé à l’indienne. Son nom était Martin Pierce !
Après cette période préparatoire, on a considéré que j’étais prête pour partir à Shahdara. A ma grande satisfaction, il a été décidé que nous constituerions une petite équipe avec Shashi et que nous habiterions ensemble. Avoir la responsabilité d’une volontaire étrangère naïve pouvait être une charge pour elle, mais c’était pour moi une situation idéale. Je pouvais demander des éclaircissements sur tout ce que je ne comprenais pas et bénéficier de la traduction par Shashi des dialogues avec les patients, qui parlaient hindi, tamoul et bengali, langues que Shashi connaissait. Cette situation a dû être très frustrante pour Shashi au bout d’un certain temps car je me révélais incapable d’apprendre ces langues Vivant et travaillant ensemble constamment, nous avons certainement abordé tous les sujets et nous avions chaque soir des discussions sous la lampe. Nous sommes devenues des amies très proches au bout de peu de temps. Durant les week-ends, nous allions souvent chez Valli, Seshan et Subhi, ou bien dans un chantier de week end pour construire le dispensaire et l’école de Nangloi, avec les volontaires du groupe de Delhi.
Après toute cette préparation pour la mise en oeuvre de mes compétences en matière de réadaptation post-chirurgicale, aucune opération de ce type n’a été effectuée durant mon séjour. A défaut, Shashi et moi nous sommes efforcées d’apprendre aux patients à se comporter de manière à éviter toute blessure pouvant résulter du manque de sensation. Il nous fallait nous battre contre le fatalisme de gens qui se pensaient victimes du mauvais sort et qui ne croyaient pas que l’on puisse faire quoi que ce soit pour préserver le fonctionnement de leurs membres ou pour éviter les blessures.
Nous nous sommes également efforcées de lutter contre les préjugés sociaux concernant la lèpre, qui avaient pour effet d’enfermer les patients à Shahdara plutôt que de les traiter dans la communauté. Nous avons eu la satisfaction d’organiser des chantiers dans la colonie pour familiariser la population avec les patients et pour considérer ceux-ci comme des êtres humains. Nous avons pu également sortir les patients de la léproserie pour participer aux campagnes du SCI pour la collecte de fonds, comme pour la course cycliste organisée par le SCI autour de Delhi.
A la fin de 1971, Shashi et moi avons participé à un chantier dans le Bihar en travaillant à la construction d’une digue avec les villageois. Nous étions avec un important groupe de volontaires, y compris Monique et Oswald Michels, ainsi que Hans Kammerer qui venaient de Titmoh Village. A cette époque a éclaté la guerre entre l’Inde et le Pakistan et la sécession du Pakistan oriental s’est produite, qui a entraîné un flot de réfugiés hindous au Bengale. Shashi est partie travailler avec une équipe du SCI pour aider le camp de réfugiés près de l’aéroport Dum Dum.
Je suis restée seule un certain temps à Shahdara, ce qui a été au départ lune période très difficile et très solitaire, mais ensuite je me suis adaptée. Alors que je me considérais plutôt comme sociable, je craignais poreuse de me retrouver dans des groupes de volontaires et je préférais retourner à ma solitude et à la compagnie des patients avec lesquels je pouvais seulement communiquer par signes.
Bangladesh
J’ai quitté ce chantier parce que l’on avait besoin d’un volontaire pour établir une relation avec le nouveau groupe qui se constituait au Bangladesh. Cette période a été très excitante pour moi. J’ai voyagé jusqu’à la frontière du Bengale occidental où j’ai pris contact avec l’armée indienne. On m’a demandé de servir de médiateur entre le leader local et le commandant indien, car le jeune libérateur du Bangladesh avait l’impression d’être mis en tutelle par l’armée indienne, alors que c’était lui qui devait m’accueillir comme le premier visiteur international qui passerait la frontière du nouveau pays. J’ai eu le sentiment d’être fidèle à l’esprit de réconciliation du SCI en m’efforçant de persuader le commandant de l’armée indienne de ne pas porter son uniforme pour la soirée de présentation d’un film à la communauté locale, de manière à ne pas paraître comme le représentant d’une armée d’occupation.
Finalement, l’armée indienne m’a prêté un véhicule et un officier m’a accompagnée jusqu’à Dacca, en passant par les ponts provisoires installés pour remplacer ceux qu’avait fait sauter l’armée pakistanaise. J’y allais pour rencontrer la branche du SCI et pour voir comment la branche indienne pourrait participer à l’effort de reconstruction. Les collègues du SCI m’ont chaleureusement reçue. Ils m’ont montré les effets de la tragédie qui venait de s’abattre sur leur pays et nous avons eu un chantier de week-end à un foyer où étaient accueillies les jeunes filles qui avaient été violées par des soldats de l’armée pakistanaise. En tant que kinésithérapeute, je me suis efforcée de faire aussi quelque chose pour ceux qui avaient été amputés, principalement des enfants blessés par des mines anti-personnel qui avaient l’apparence de jouets. A l’époque, toutes les formations de kinésithérapie étaient situées au Pakistan occidental. Par la suite, ce sont les volontaires du SCI qui ont fait un travail magnifique pour démarrer une formation au Bangladesh.
Retour en Grande-Bretagne
En 1972, je suis rentrée à regret au Royaume-Uni. J’avais beaucoup appris de cette expérience avec le SCI, Shashi m’avait appris à remettre en question les idées confuses sur la compassion que j’avais en arrivant. Elle m’avait montré combien elles étaient liées à des préjugés sur la supériorité culturelle. Valli m’avait montré ce qu’étaient réellement l’ouverture d’esprit et l’internationalisme. Seshan avait contesté mes notions sommaires sur le développement. Bhuppy m’avait expliqué la richesse de la culture indienne et comment l’humour pouvait changer un climat de tension et permettre à la richesse humaine de se manifester. Beaucoup d’autres m’avaient appris à vivre et à mûrir dans une autre partie du monde et à regarder la planète avec des regards différents, mais également valables. Le fait d’être confrontée directement aux effets de la guerre a eu sur moi un impact profond. Comment tant d’innocents avaient-ils pu souffrir des manoeuvres politiques des grandes puissances ! J’ai quitté l’Inde bouleversée et désorientée lorsque je suis rentrée dans un Royaume-Uni qui m’était à la fois familier et étranger.
Il m’a fallu les trois années passées à des études orientales et africaines pour retrouver mes marques. Entre temps, j’avais rencontré Martin et nous avions décidé que la meilleure thérapeutique pour le fait d’être tous deux désorientés consistait à nous marier et à retourner ensemble en Inde !
Au Centre de formation asiatique, 1975-77
Martin et moi sommes arrivés à Visionville sans suivre une procédure officielle comme volontaires. Nous avons pris en charge la gestion du Centre régional asiatique de formation, destiné à aider le SCI/ Inde à la formation des volontaires au départ de l’Inde et à l’arrivée.. C‘était aussi une base pour organiser des chantiers dans l‘Etat. Je ne me souviens lus comment l‘idée est venue, mais vivre avec Sato et sa famille s’est avéré être une chance merveilleuse. Tandis que Martin s‘est entièrement consacré à l‘organisation de chantiers, je n‘avais pas de rôle spécifique et je me contentais d’être une aide. Ce n’était pas plus mal, car les premiers mois j’ai été souffrante et ensuite enceinte. Le dernier mois que nous avons passé à Visionville été particulièrement difficile, car la famille de Sato a été forcée de quitter le pays et Martin et moi, avec notre fils Richard, nous nous sommes efforcés d’assurer un transfert aux nouveaux occupants. Il était grand temps pour nous de rentrer au Royaume-Uni.
Cette expérience a changé ma vie
Après une expérience aussi intense de vie en Inde, Martin a trouvé un emploi d’avocat à Leeds, où il pouvait mettre à profit sa connaissance de la langue hindi et travailler avec les immigrants venant du sous-continent indien. Je suis devenue membre du Comité national de l’IVS, puis vice-présidente, jusqu’à la naissance de notre fille, à la suite de laquelle je me suis limitée à une action locale. Entre temps, Martin a repris un travail d’organisation de chantiers en devenant responsable opérationnel pour l’IVS. Peu à peu, mon travail salarié m’a pris davantage de temps et ma participation à l’action du SCI a diminué, se limitant à des week-ends occasionnels et à l’accueil de visiteurs. Je me suis progressivement impliquée dans le travail pour une zone urbaine multiraciale et dans les questions d’éducation et de politique éducative. Au cours des années 90, j’ai à nouveau travaillé sur les problèmes de développement comme consultante, me spécialisant finalement dans la planification, le suivi et l’évaluation de programmes de développement.
Comme la plupart des volontaires du SCI, cette expérience a radicalement changé ma vie. Un premier chantier de peinture de logements pendant le week-end m’a conduite en Inde. Le fait de rencontrer tant de gens extraordinaires au SCI en Inde et d’avoir été confrontée à la pauvreté et aux conséquences de la guerre m’a éveillée à une conscience politique. Avant d‘aller en Inde, j‘étais quelque un d‘assez naïf sur le plan politique, après l‘Inde, je voulais changer le monde ! Mais ce que j‘ai appris, ce n‘était pas à m‘engager dans la politique à proprement parler. Pour construire un monde meilleur, l‘important c’est de comprendre la diversité des points de vue, la nécessité urgente d‘une communication entre les cultures et la prise en considération de tous les points de vue, je me rends compte que c‘est ce que nous avons en commun et je pense que c‘est l‘influence discrète que nous pouvons exercer.