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Lutz Susanne

Origine du texte
Enregistré en 2001 par Ursula Binggeli, journaliste, Zurich.

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Susanne Lutz

"Avec l’âge, de jeunes ami-e-s deviennent important-e-s".

C’est loin des hôtels 4 étoiles que Susanne Lutz passe ses vacances à l’étranger. Au lieu de s’allonger au bord d’une piscine, la septuagénaire préfère participer à la construction de maisons africaines en argile ou à l’entretien de réserves naturelles bulgares – ensemble avec des jeunes de 20 ans.

Elle témoigne : "Je ne suis pas de celles qui ont vite peur. Avant d’aller au Chiapas, au Mexique, pour deux mois en tant qu’observatrice internationale, j’étais cependant assez nerveuse. Après tout, la province a été le théâtre de troubles pendant des années. La population locale se bat pour plus de droits ; il y a une présence militaire menaçante avec environ 73'000 hommes. Par leur présence, les observateurs internationaux essaient de prévenir les attaques des troupes. Lorsque que je suis finalement arrivée dans le petit village indien près de la frontière avec le Guatemala, je me sentais pourtant calme et préparée. Chaque jour, je parcourais pendant plusieurs heures la route nationale et observais les mouvements de troupes. J’ai fait le voyage avec un jeune homme de 25 ans de Zürich. Après le séminaire de préparation, il m’avait proposé de voyager ensemble. Je n’aurais moi-même pas osé le lui demander ; j’avais peur qu’il pense « Cette femme âgée ne peut pas s’en sortir toute seule ; elle a besoin de quelqu’un ». Sa proposition m’a réjouie. J’ai tout de suite accepté et nous nous sommes bien entendus. Nous sommes toujours amis aujourd’hui. La différence d’âge de 43 ans ne joue aucun rôle. Je pense que c'est en grande partie une question d'attitude personnelle.

J’ai septante-et-un ans. Je suis divorcée, mes 4 enfants suivent leur propre voie. Certains de mes amis de mon âge sont déjà décédés – il faut s’assurer à temps de ne pas rester seul-e. Je trouve qu’il est important pour des personnes âgées de trouver des ami-e-s plus jeunes. Lors d’une réunion de classe, on m’a un jour demandé : « Pourquoi est-ce que tu fais ces missions à l’étranger ? » J’ai répondu : "Parce que c’est comme ça que je me fais de nouveaux-elles ami-e-s". Quelqu’un a dit : « J’ai encore mes vieux amis. Je n’en veux pas de nouveaux ». De mon vivant, c’est une vision que je ne comprendrai jamais !

Je m’engage chaque année 2 à 4 semaines dans un chantier international. J’ai été deux fois au Nigeria en Afrique dans le cadre d’un projet organisé par une église de Pennsylvanie. Je suis toujours amie avec le responsable, un jeune théologien suisse et sa femme. Je m'occupe régulièrement de leur petit enfant Noah.

En 1999, j’ai aidé à ramasser des déchets une réserve naturelle avec le SCI en Bulgarie. En 2000, je suis également partie avec le SCI en Turquie dans un petit village situé à onze heures en bus d’Istanbul. Les petits agriculteurs de cette région, d’anciens nomades, vivent de la culture de fruits. Pendant les chantiers, je gagne un aperçu de la vie quotidienne dans un autre pays et je me rapproche des gens de manière simple. Il est important pour moi d’apprendre à connaître la vie du pays d’accueil dans toute sa diversité pendant mon séjour et de ne pas seulement « puiser la crème du lait » comme on dit à Berne. Je mange ce que les locaux mangent chaque jour et pas seulement leur repas du dimanche. Je ne dors pas dans un lit d’hôtel douillet mais dans des cabanes ou des écoles. Au moment de faire mon choix de chantier, je veille cependant à ne pas devoir dormir sous tente – ce qui m’est quand même devenue difficile avec le temps.

Au cours de mes séjours, j'acquiers des impressions intenses, belles mais aussi difficiles. J'ai été profondément choquée par la mortalité infantile en Afrique ; c’est vraiment terrible. En Turquie, j'ai vu, lors d'un mariage, comment les vieilles coutumes commencent à s'effriter sous les nouvelles influences. Les hommes dansaient à une extrémité du village et les femmes de l’autre, comme le veut la tradition. Or, ils ne le faisaient plus sur leur musique traditionnelle, mais sur des rythmes disco. À leurs mouvements maladroits, on pouvait voir à quel point cette musique leur était étrangère et peu familière. Ceci m’a rendu pensive. Mais il y a aussi beaucoup d'expériences merveilleuses : l'hospitalité dans de nombreux pays est tellement plus grande qu'ici en Suisse !

Bien sûr que je suis vieille. L’arthrose douloureuse de mes pieds me pèse. Il ne faut pas nier ces signes de vieillesse. Néanmoins, la retraite est pour moi la meilleure partie de ma vie. Je peux organiser mes journées à mon bon vouloir et je suis libérée de la pression de la recherche d'un emploi. Je peux réaliser beaucoup de choses pour lesquelles je n'avais jamais eu de temps par le passé.

J'apprécie beaucoup le sentiment d'être utile dans les chantiers. Je pense que de nombreux-ses préretraité-e-s pourraient également en bénéficier. Malgré tout, chacun-e doit se demander si un tel engagement fait sens pour elle-lui. Il faut être en bonne condition physique et mentale. Il est important d’avoir confiance pour séjourner dans un pays étranger avec des conditions d'hygiène différentes. De bonnes compétences linguistiques sont également une condition importante. L'anglais est requis pour la plupart des engagements. Par ailleurs, il faut être à l’aise pour s'intégrer dans un groupe de jeunes.

Je fais toujours très attention à ne pas prendre le rôle de celle qui sait tout mieux que les autres. Je dois parfois me retenir. L'avant-dernier été en Bulgarie, lorsque j'ai vu trois jeunes femmes japonaises préparer ensemble des spaghettis pour le dîner et les servir froids parce qu'elles avaient cuisiné beaucoup trop tôt, je ne pouvais pas me contenter de regarder. J'ai suggéré aux trois femmes de mélanger les spaghettis avec la sauce et de réchauffer le tout. Le fait que je m’en mêle les a d’abord énervées ; je l’ai remarqué. Mais finalement, elles étaient partantes et tout s’est bien passé.

Jusqu'à présent, je me suis toujours très bien entendue avec les jeunes et j'ai ramené chez moi beaucoup de merveilleux souvenirs. En Bulgarie, il y avait une source d’eau chaude près de notre logement qui formait un étang. Le soir avant d'aller au lit, nous enfilions nos maillots de bain, nous allions dans l'eau, nous nous tenions en cercle et nous regardions ensemble l'immense ciel étoilé dans le calme de la nuit. C’était un rituel. Nous étions ensemble. Je ne vais jamais oublier la magie de ces instants.




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