Dorothy (Abott) Guiborat
Une vie paisible à la campagne, puis la guerre
J’ai entendu parler pour la première fois du SCI au début de l’année 1946, lorsque je travaillais pour le Friends’ Relief Service (Quakers) au Sud-est de la Pologne, bien loin du village paisible de l’Essex où j’avais été élevée en Angleterre entre les deux guerres. En repensant à cette époque, je me souviens combien nous jouissions d’une liberté merveilleuse, mais avec une vie matérielle dure : par exemple, il n’y avait ni gaz, ni électricité à la maison. Mes parents venaient de Londres et mon père continuait à y travailler, mais ils souhaitaient tous deux mener une vie campagnarde. Nous avions comme tout le monde un grand jardin, des fleurs, un potager et un verger, mais aussi un chien, un poney féroce et une multitude de chats. Plus tard, nous avons aménagé nous-mêmes un court de tennis. Il n’y avait pas d’école, de sorte que mes trois soeurs et moi devions aller à pied au prochain village, avec quelques enfants. Nous nous amusions beaucoup sur le chemin et nous étions souvent en retard, surtout quand l’étang était gelé et quand il y avait de la neige. Il n’y avait pas d’automobile. L’école se terminait tôt et nous aimions flâner dans la campagne ou nous faufiler entre les barbelés pour aller dans la forêt, revenant les bras chargés de jacinthes au printemps ou avec des quantités de noisettes en automne. Il n’y avait pas de devoirs à faire à la maison.
Les choses sérieuses ont commencé à la Brentwood County High School, mais j’avais appris à profiter de la vie et j’aimais l’école, en particulier les langues, l’histoire et le sport : tous les élèves jouaient au basket et au hockey en hiver, au tennis et au cricket à la belle saison et il y avait des matchs contre d’autres écoles le samedi matin. Ensuite, j’ai étudié le latin et le français à l’Université de Londres, la dernière année à Oxford – merveilleux Oxford – où une partie de l’université s’était repliée pendant les bombardements - le Blitzkrieg.
J’étais destinée à devenir enseignante, mais je me suis finalement décidée pour un aspect de l’action sociale, le logement, qui nécessitait deux années supplémentaires d’études. Ma formation s’est déroulée à Londres (East End) et à Rotherham dans les Midlands, où les conditions de vie étaient désastreuses, du fait des séquelles de la révolution industrielle. La formation comportait des connaissances de base sur le bâtiment, de la comptabilité et des études sociales. J’aimais la combinaison entre leurs aspects techniques et humains. Mon premier poste était à Birmingham et c’est là que j’ai fait la connaissance des Quakers et suivi leurs cours du soir pour me préparer à travailler dans l’ex Allemagne nazie pour les déportés d’Europe de l’Est, qui vivaient dans des conditions déplorables. Le retour dans leur pays était devenu incertain du fait de l’occupation soviétique.
Confrontée aux désastres de la guerre en Europe de l’Est
La guerre se terminait. J’ai donné ma démission et suivi une préparation physique et culturelle de trois mois à Londres (Mount Waltham) et suis finalement partie avec mon groupe pour la Hollande. En effet, les Quakers ne pouvaient accepter la règle de non fraternisation imposée aux personnels d’assistance qui se rendaient en Allemagne. Nous sommes donc allés dans un orphelinat près de La Haye, pour nous occuper d’enfants dont les parents avaient été exécutés comme collaborateurs ou emprisonnés. Au bout de trois semaines, nous avons finalement pu aller en Allemagne et commencer à travailler près de Wolfenbüttel. Les conditions de vie étaient très mauvaises et notre première tâche a consisté à obtenir des ex-autorités nazies des couvertures, du DDT, du matériel scolaire et autre, puis à travailler avec les autorités responsables du camp pour tout organiser. Il a fallu encore bien des mois avant que les ressortissants des pays baltes, les Polonais et les Ukrainiens puissent rentrer chez eux ou trouver un autre pays d’accueil (dix ans plus tard, je me suis trouvée sur un vieux transport de troupes américain pour accompagner les derniers réfugiés ukrainiens aux Etats-Unis).
En Allemagne, j’ai pu visiter Bergen Belsen et d’autres camps de concentration, puis rencontrer quelques survivants soignés à Gozlar, où nous avions été transférés depuis Wolfenbüttel. L’horreur absolue de ces camps et en particulier d’Auschwitz, que j’ai vu par la suite en Pologne et où des millions de juifs ont été exterminés, m’a désespérée. A l’époque, nous pensions qu’une pareille chose ne pourrait jamais se reproduire nulle part.
Moins d’une année plus tard (en 1946) j’étais en Pologne. J’avais commencé à apprendre le polonais depuis quelques mois et je pouvais travailler dans les villages sans interprète. J’étais l’une des douze membres de l’équipe britannique de Quakers et notre première mission, d’abord à Kozienice, consistait à distribuer régulièrement des aliments et des vêtements à une quinzaine de villages. Ceux-ci avaient été totalement détruits, car le front des combats entre Allemands et Russes s’était constamment déplacé, des deux côtés de la Vistule. Les Autorités polonaises avaient distribué des matériaux de construction, mais beaucoup de familles dont le père avait disparu avaient besoin d’aide. Il fallait aussi reconstruire les écoles.
David Richie, l’initiateur bien connu des chantiers de week-end dans les taudis de Philadelphie, avait rejoint notre équipe et organisé à Lucimia sur la Vistule le premier chantier international de travail volontaire en Pologne. Le SCI et l’IAL (l’organisation suédoise de chantiers) avaient envoyé plusieurs volontaires. J’ai quitté l’équipe de Kozienice pour rejoindre le chantier. Stefa, une volontaire polonaise et moi nous avons cherché à recruter pour de futurs chantiers en visitant des universités dans tout le pays. De leur côté, Alun et Mietek recherchaient des projets de chantier appropriés. Nous avons ainsi pu organiser des chantiers au cours du printemps et de l’été qui ont suivi et pendant le week-end.
En automne 1948, toutes les équipes étrangères d’aide humanitaire ont été obligées de quitter le pays et l’année suivante j’ai moi aussi été expulsée. Il a été difficile, mais néanmoins possible de rester en contact avec les amis de Varsovie tout au long de ces sombres années et jusqu’à ce jour. Pendant cette période, les régimes communistes d’Europe de l’est ont organisé des chantiers à caractère idéologique pour des centaines de jeunes, venant principalement des pays de l’Est, mais ils acceptaient également quelques jeunes occidentaux, notamment des membres du SCI.
Prise de contact avec l’administration à Paris
Au cours de l’automne 1949, un avion polonais m’a débarquée, seule, à Bruxelles. De là, j’ai pris le train pour Paris, où l’on m’a offert un poste de secrétaire chargée de la liaison entre neuf organisations, dont le SCI et les Quakers (AFSC). C’était un travail très intéressant, car il s’agissait de passer de courtes périodes dans différents chantiers – de la Finlande (KVT) à la Grèce, de rencontrer les membres des différentes branches et de publier une lettre mensuelle d’information. Mon bureau, ou ce qui en tenait lieu, se situait au Secrétariat du siège parisien des Quakers. Il n’était pas loin du Secrétariat international du SCI, où j’ai fait la connaissance de Willy (le deuxième Secrétaire international) et Dora Begert, Ils m’ont parlé du travail qui se faisait en Inde et, comme mon contrat d’une année avec le bureau de liaison se terminait, ils m’ont encouragée à présenter ma candidature à l’IVSP, la branche britannique du SCI, chargée des relations avec l’Inde au cours des premières années qui ont suivi l’Indépendance.
Avec les premiers volontaires de l’après-guerre en Inde
En novembre 1950, après un très long voyage sur un bateau moribond de la ligne Scindia avec Bent, un charpentier danois volontaire, pendant lequel j’ai eu le temps de lire la Bhagavad Gita et d’étudier l’hindi, nous avons été accueillis à Bombay (aujourd’hui Mumbai) pendant quelques jours par Fali Chotta. Puis nous avons pris le train en 4e classe pour la ville nouvelle de Faridabad, près de Delhi, en cours de construction pour les réfugiés du Pakistan. Il faisait chaud et la poussière... oh cette poussière ! Ralph Hegnauer était responsable du chantier, un responsable sévère, dur pour lui-même comme pour tout le groupe. Il avait constamment à l’esprit la vocation du SCI de montrer comment un service international constructif pourrait remplacer le service militaire national. Non seulement les travailleurs indiens sur ce site immense, mais aussi tous les visiteurs importants venant de New Delhi étaient impressionnés par ces Européens inhabituels.
Après une mise au courant rapide et une journée de visite au Taj Mahal, Bent et moi avons pris le train pendant des jours et des nuits, d’abord pour Calcutta, ensuite pour Gauhati en Assam, puis par bateau, sur ce fleuve géant qu’est le Brahmapoutre jusqu’à Tezpur, puis le bus pour North Lkhimpur, enfin une Land-Rover à travers la jungle jusqu’à Pathalipam. C’est là que débutaient une première série de chantiers de reconstruction d’écoles avec le bambou local, à la suite du terrible tremblement de terre et des inondations qui avaient dévasté les plaines du Nord-Est de l’Inde entre la Chine au Nord et la Birmanie au Sud.
Tout avait été bien préparé, grâce en particulier à M. Bhandari, qui avait été un membre actif du mouvement gandhien pour l’Indépendance en Inde du Sud. Il avait été envoyé en Assam par Gandhi) et avait créé un dispensaire et une école dans le village lointain de Barama. Tout le monde l’aimait et le respectait. Les autorités locales l’avaient chargé de nos chantiers en plus de ses autres responsabilités. Sa femme et moi sommes devenus de grands amis et avons échangé des lettres pendant plus de 50 ans. Les enfants et même les petits-enfants restent en contact. Je me souviens aussi de l’aide apportée au SCI par Amalprava Das, une pionnière de l’action sociale qui avait fondé la branche de l’Assam du Kasturbaï (l’épouse de Gandhi) Trust pour le travail des femmes dans les villages : elle avait envoyé un membre de son équipe pour travailler avec moi ; le plus souvent nous étions à la cuisine.
Je faisais parfois des visites, accroupie sur le sol et mâchant du bétel, ce qui était un moyen de communication. Je cassais aussi des pierres avec les femmes du pays sur le bord de la route, quand, de temps en temps, un Anglais passait en voiture, nous couvrant de poussière (il y avait encore quelques cadres des plantations et quelques missionnaires anglais). Ils se sont empressés d’envoyer une délégation à notre chantier pour m’informer que ma conduite était « indigne d’une Européenne ».
L’équipe du chantier, entièrement européenne au départ, dirigée par Pierre Oppliger (qui m’appelait «la soeur ») a bientôt été rejointe par de petits groupes de lycéens de North Lakhimpur, Lakshmi, et Profulla, qui avaient un congé pour venir travailler avec nous. Puis sont arrivés Max des Etats-Unis, Siji du Japon, PK de N. Lakhimpur et d’autres. Lorsque la construction de l’école a été achevée, nous sommes allés dans un autre village et ainsi deux équipes ont travaillé en deux endroits différents.
Durant les mois les plus chauds et lorsque les pluies de mousson étaient les plus abondantes, nous allions travailler dans la belle vallée verte de Khajjiar, entourée des montagnes neigeuses de la chaîne himalayenne. Là, au nord de Chamba et pas très loin du Cachemire les hommes avaient construit une conduite pour amener au village l’eau d’une source de montagne, à plus d’un kilomètre. Un petit groupe de volontaires d’un lycée réputé de Delhi nous avaient rejoint, avec deux autres venant de l’Assam et le travail a pu débuter avec une quinzaine de volontaires. Parmi eux, il y avait Idy Hegnauer et moi, qui étions chargées de la cuisine. Nous avions toutes deux escompté que nous ferions aussi d’autres travaux que le travail domestique routinier et nous avons été déçues. Nous n’arrêtions pas de faire des chapatis (sorte de pain à la base de la nourriture indienne) et il nous est arrivé d’être en retard et d’être réprimandées par Ralph. Idy a menacé de retourner en Suisse et je crois bien qu’elle l’a fait ! C’était une personne très chaleureuse et en même temps très décidée. Le problème était une fois encore le rôle assigné aux femmes sur les chantiers. Je me demande si Devinder, qui était venu nous rejoindre à partir de Delhi, a un souvenir de cet épisode ? Quoiqu’il en soit, le chantier a été une réussite et l’eau de la source est arrivée à destination.
Entre ces deux chantiers, j’étais retournée dans mon Assam bien aimé, plus à l’est, près de Dilbrugarn, encore pour construire une école. Puis je suis rentrée à Delhi. Après deux années en Inde, on m’avai proposé un poste dans la section féminine récemment créée du Bharat Sewak Samaj, la grande organisation nationale de chantiers. Je n’avais pas accepté cette offre pour différentes raisons, notamment pour me faire traiter à l’hôpital de Londres pour les maladies tropicales. J’aurais aimé pouvoir rester en Inde.
Pionnière du développement international du mouvement : J’ai fait le voyage en bateau de Mumbai à Naples, où je l’ai quitté pour visiter Pompeï, Rome, Florence, ... et ainsi jusqu’à Paris. On m’avait proposé d’être Secrétaire internationale, en partenariat avec Ralph Hegnauer, qui avait succédé à Willy et Dora Begert (Willy avait créé le Comité de Coordination des Chantiers de Travail volontaire sous les auspices de l’UNESCO et il y travaillait à plein temps). Ralph était le plus souvent au siège de Zurich et moi à Clichy, en banlieue de Paris, où la branche française louait trois pièces au Secrétariat international.
Cette fonction s’est avérée extrêmement intéressante et stimulante et je l’ai occupée pendant sept ans (de 1953 à 1960), sans trop me soucier des conditions de vie qui laissaient beaucoup à désirer. Les relations amicales étaient nombreuses et très riches. Devinder das Chopra (voir chapitre 3) et Mohammed Sahnoun (chapitre 4) étaient là pour quelque temps. Yvonne Elzière venait le samedi pour tenir la comptabilité. Des volontaires asiatiques venaient en Europe et restaient à Clichy une semaine ou deux, ainsi que quelques Américains se rendant en Inde (voir Valli Seshan et Phyllis Sato, chap. 3).
Le travail de Secrétaire internationale m’a mise en contact avec les branches européennes du SCI (une dizaine en 1953), les groupes d’Asie, des Etats-Unis et d’Algérie, et avec le Comité de coordination, qui a financé des voyages pour des volontaires en Afrique et en Asie. L’UNESCO était intéressée par nos efforts pour inclure des femmes parmi les volontaires et deux subventions reçues en 1957 ont permis à quatre volontaires de venir en Europe : Valli (chapitre 4 et Claire, ci-dessous) et Rohini, depuis l’Inde, Alice Appeah et Rose Kwei du Ghana. Valli a joué un grand rôle au SCI, d’abord en Europe et surtout en Inde et au Secrétariat asiatique. Alice s’est beaucoup investie dans la promotion du statut des femmes en Afrique de l’Ouest.
Je me suis intéressée à la création de chantiers de formation de responsables. Ce projet était considéré avec quelques réserves par certains anciens membres des branches suisse et française, mais la branche allemande et d’autres y étaient favorables et ont aidé à trouver des lieux appropriés pour un travail manuel – il n’en manquait pas pendant les années d’après-guerre – suivi dans l’après-midi par les études et les discussions. Dorothea Woods, une ancienne volontaire des Quakers appartenant à la Section de la Jeunesse de l’UNESCO, a participé à certains de ces chantiers et contribué à l’animation des discussions.
Une autre innovation concernait les chantiers que j’ai appelés « Orient-Occident », qui consistaient à rassembler des volontaires d’Afrique, d’Asie et du Moyen-Orient (pays arabes et Israël). Nous faisions ensemble un travail manuel – pelle et pioche – le matin et nous avions l’après-midi des discussions sur des sujets brûlants qui divisaient les pays des participants, avec le concours d’intervenants extérieurs.
Je me souviens à ce propos qu’un jour où j’expliquais notre travail à une passagère dans un bus, elle a été très étonnée et a dit : « Il y a aussi des Juifs ? ». Au SCI, nous avons rarement parlé de l’Holocauste. Est-ce que c’était trop proche, trop terrible ou bien pensions-nous que cela ne se reproduirait jamais ?
Je me demande si le SCI a eu l’idée de créer des groupes de suivi avec les populations des lieux où nous avons eu des chantiers ? A mon époque, nous étions trop occupés et trop inexpérimentés. Je sais que j’ai négligé la question du suivi, même avec les volontaires. Aujourd’hui, le travail de préparation et de suivi que font Jean-Pierre avec l’Afrique du Nord (chapitre 4) et Nicole Paraire avec l’Afrique de l’Ouest (chapitre 5) sont d’excellents exemples de ce qu’on peut faire. Cependant, lorsque j’ai visité les chantiers traditionnels, je leur ai demandé de réserver une soirée pour discuter de questions concernant la paix. C’était généralement bien accepté, en dépit des réticences de certaines branches. Il y avait toujours le risque de n’être qu’une organisation de chantiers parmi d’autres.
Lors d’un chantier en Suisse, sur la route proche de Lise Cérésole – elle nous avait trouvé un hébergement – nous nous sommes concentrés sur les problèmes pratiques rencontrés par les femmes volontaires en Afrique et en Asie, quand on nous disait de faire du « travail social ». Paulette Rabier (chapitre 4), qui avait travaillé en Algérie et en Tunisie, enseignait les premiers soins et l’hygiène, un médecin de l’OMS est venu et une couturière nous a appris pendant plusieurs après-midi à coudre des vêtements simples, Alice Appeah nous a montré la cuisine ghanéenne et ainsi de suite.
De nouveaux horizons pour le SCI : Etats-Unis, Pakistan, Algérie
Les ressources de l’association n’étaient pas toujours suffisantes pour payer les Secrétaires internationaux. J’ai profité de ma période de six mois de congé obligatoire pour trouver (comme indiqué plus haut) un travail d’accompagnement des derniers déportés ukrainiens de la guerre, sur un vieux transport de troupes se rendant à la Terre promise d’Amérique. Quelle joie et quelle émotion lorsque, à l’approche de New York, l’hymne national ukrainien a retenti : nous nous sommes mis à genoux en contemplant le glorieux soleil levant derrière les gratte-ciel de Manhattan ! J’avais été invitée par le Comité social des Quakers à participer à leurs chantiers de week-end dans les taudis de Philadelphie, puis j’ai visité les chantiers en cours au Mexique et au Salvador. L’objectif était de familiariser de jeunes Américains privilégiés avec les problèmes sociaux, aux Etats-Unis et en Amérique latine. Je suis retournée aux Etats-Unis pour participer au premier chantier organisé par le SCI dans ce pays. Il avait lieu à Indianapolis et avait été organisé par Bob Stowell dans une coopérative d’Afro-Américains qui construisaient leurs maisons. Bob a ensuite émigré en Nouvelle-Zélande, loin des problèmes incroyables que suscitait l’époque Mc Carthy. D’autres volontaires éminents ont pris la suite et développé le SCI aux Etats-Unis.
Dans le cadre de notre partage des responsabilités du Secrétariat, Ralph ne paraissait pas particulièrement intéressé par les chantiers travail-études et chacun d’entre nous se concentrait sur les actions qui lui tenaient le plus à coeur. Mais nous nous rencontrions régulièrement pour faire le point sur la situation générale et nous échangions des copies de toute notre correspondance. Nous préparions ensemble les réunions du Comité international et bien d’autres choses encore sans doute. Par exemple, Ralph a participé à des actions au Liban, tandis que j’allais en Israël, où nous avions des volontaires, pour rejoindre un chantier des Quakers. Mais nos caractères étaient assez différents et, après avoir travaillé ensemble dans de bonnes conditions, nous avons pris des orientations différentes. Je suis restée à Clichy et Noël Plattew est venu au Secrétariat international. Ralph est devenu par la suite Président international. Son engagement pendant une vie entière pour le SCI et sa contribution à son action ont été très importants et il a eu une grande influence sur beaucoup de volontaires (les hommes plus que les femmes me semble-t-il).
C’est probablement en 1957 que j’ai été invitée par le Comité de coordination à une grande Conférence patronnée par l’UNESCO qui s’est tenue à Delhi. A partir de là, j’ai participé à un chantier de travail et d’études près de Calcutta, dont le responsable était un professeur d’université qui emmenait régulièrement ses étudiants pour travailler dans les villages. Puis je suis allée à l’ashram de Barama pour voir la famille Bhandari et ensuite au Pakistan.
Le SCI avait commencé à travailler au Pakistan deux ou trois ans auparavant et j’ai pu constater le travail qui avait été fait et ses suites. C’était étrange d’être une femme seule à Karachi – objet de curiosité parmi les hommes (seulement les hommes), dans les rues encombrées, ou parmi les femmes dans les bus, où elles se pressaient dans un petit espace à l’avant, juste derrière le chauffeur. J’étais également mal à l’aise lorsque j’accompagnais les « begums » dans leurs magnifiques saris de soie, pour voir le travail social qu’elles dirigeaient.
En remontant par le train la vallée de l’Indus, j’ai ensuite visité le village où deux volontaires : Marius et Marianne Boëlsma avaient laissé un souvenir inoubliable. Il était un peu effrayant de n’être attendue nulle part, dans ces endroits étranges, car l’atmosphère était très différente de tout ce que j’avais connu. Est-ce qu’ils ne voulaient pas venir à ma rencontre, alors que j’avais prévenu et qu’on était censé m’attendre ? Où est-ce que j’allais dormir et manger ? J’étais une énigme pour les autres voyageurs, mais grâce à eux j’ai finalement trouvé le domicile des personnes que je devais voir et chez lesquelles j’ai été bienvenue ! J’avais lu des livres sur l’Islam et des extraits du Coran, mais la réalité de la vie quotidienne ne m’était pas du tout familière. Un jour, j’ai été introduite par la femme de mon hôte dans le monde du « purdah », une sorte de club pour femmes. C’était fascinant, mais aussi amical.
Mes amis pakistanais de Lahore (connus par l’UNESCO) ne m’attendaient pas davantage, mais j’ai finalement trouvé leur domicile. Ils m’ont guidée dans cette belle cité, où la vie, au moins pour la population la plus instruite, était plus ouverte aux étrangers. Je crois que c’est à Lahore que j’ai discuté avec Minhaj, le premier Secrétaire du SCI pakistanais, au sujet des échanges de volontaires. C’était il y a bien longtemps.
Quelques années plus tard, je me trouvais en Algérie, également pays musulman, mais à l’époque avec une nombreuse communauté française. J’étais allée en 1954 pendant six semaines à Alger, où vivaient la plupart des membres de notre association et sur le chantier près d’Orléansville, à la suite du tremblement de terre qui avait détruit de nombreux villages. Tandis que les hommes aidaient à la reconstruction, j’ai accompagné une infirmière de l’équipe sur les sentiers montagneux où nous étions accueillies par les aboiements des innombrables chiens. Ils alertaient les populations et nous pouvions alors nous mettre au travail.
Pendant la guerre d’Indépendance, les Autorités françaises en Algérie regardaient le SCI avec suspicion (voir Nelly chapitre 4). Lorsque des membres du SCI ont été arrêtés, une petite aide financière a été recueillie par le Secrétariat international, principalement en provenance d’Angleterre et de Suisse. Je transférais ces fonds à Simone Chaumet, qui était sur place et qui prenait le risque des les faire parvenir à des amis emprisonnés ou à leurs familles en difficulté. Il est profondément triste, mais nécessaire d’ajouter que Simone a été assassinée à la fin de la guerre, une période sans loi, avec Emil Tanner, ancien secrétaire de la branche du SCI.
Lorsque je travaillais au Secrétariat international, il me fallait une heure et demie de trajet pour venir d’Antony (banlieue sud de Paris), où je vivais depuis mon mariage. C’est pourquoi j’ai démissionné de cette fonction, mais j’ai continué à travailler à temps partiel avec Gerson Konu (voir le chapitre sur l’Afrique), principalement pour faire des traductions. Il y avait eu un échange de volontaires avec le Ghana et Gerson était en train d’établir des relations plus étroites avec l’Afrique de l’Ouest francophone. Une autre tâche consistait à briefer les volontaires qui arrivaient d’Asie et qui logeaient chez nous à Antony à leur arrivée.
De nouvelles activités compatibles avec la vie familiale
Mon deuxième enfant Daniel était handicapé mental et ce problème a finalement été prioritaire pour moi.. Lorsque Daniel a eu 12 ans et une éducation adaptée, j’ai démarré un club de loisirs (week end) pour jeunes handicapés, sous les auspices de l’organisation spécialisée et de la branche française du SCI. Cette dernière n’a jamais été très intéressée, mais l’Assemblée générale de l’association avait donné son accord et un certain nombre de volontaires, en particulier Michèle Lelarge, ont constitué une bonne équipe. Quelques uns de ses membres étaient des enseignants et avaient attiré leurs élèves. On ne pourra oublier Ali, alors étudiant à Paris et aujourd’hui professeur à l’Université de Fez, ainsi que Mohammed, un infirmier qui vivait et travaillait en France.
Notre club, “Loisirs et Intégration”, a fonctionné régulièrement pendant environ 25 ans, avec des activités, deux week-ends par mois et des vacances occasionnelles à l’étranger. Nous avons aussi organisé des visites d’animateurs de ce type d’activité entre la France, le Royaume-Uni et le Maghreb.
Nous avons envoyé plusieurs volontaires à l’étranger, au Danemark et aux Etats-Unis. Les parents et amis des handicapés nous invitaient à un repas les jours d’hiver, quand nous visitions des musées ou allions à des spectacles. Il faut ajouter que d’autres branches du SCI ont travaillé avec des handicapés sur une beaucoup plus grande échelle, lorsque la reconstruction n’était lus une priorité et que les problèmes sociaux sont venus au premier plan.