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Kishore Bhupendra

Bhuppy Kishore a fait la connaissance des chantiers du SCI au début des années 60 et a été chargé en 1966 d’assurer la liaison avec le projet de la léproserie d’Hatibari en Orissa. En 1967, il a été choisi comme volontaire à long terme pour l’Europe. A son retour, il a travaillé comme volontaire au bureau de la branche indienne, puis a été nommé Secrétaire national. En 1965, il est passé au Secrétariat asiatique.

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Olivier Bertrand: Breaking down barriers 1945-1975, 30 years of voluntary service for peace with Service Civil International.
Paris (2008)

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Bhupendra Kishore

J’avais onze ans quand est intervenue la partition de l’Inde en 1947 et nous avons vu arriver des quantités de réfugiés. Mes deux frères aînés, qui avaient travaillé avec Gandhi, ont participé à leur accueil et j’ai eu l’occasion de les accompagner. L’un de mes frères est aussi allé au Cachemire à la demande du Gouvernement comme volontaire pour l’accueil des réfugiés. Par ailleurs, mon frère aîné et sa femme (qui était anglaise) étaient en contact avec les Quakers et avaient déjà travaillé pour le SCI.

Débuts du SCI en Inde

Pierre Cérésole était venu en Inde au cours des années 30, puis Ralph Hegnauer et Ethelwyn Best Et grâce à Pierre Oppliger, le SCI avait des contacts avec des personnalités importantes (voir le début de ce chapitre). Nehru lui-même avait visité avec le président de l’Union le projet de Faridabad et il avait demandé à Ralph de suggérer une manière d’organiser un service civil en Inde. C’est ainsi qu’a été créé le Bharat Sevak Samaj (BSS), une très grande organisation financée par l’Etat, qui comportait des branches dans toute l’Inde. Le SCI a beaucoup travaillé avec lui et avec d’autres organismes comme les Quakers. Les organismes inspirés par Gandhi avaient des membres dans tous les villages importants et nous coopérions avec eux en raison de leurs contacts.
Lors de la création du SCI en Inde, le président était un professeur, chancelier de l’Université de Jamiah. La soeur de Nehru, Vijaya Lakshmi Pandit, a aussi été présidente pendant quelque temps. Les membres de l’association venaient de toutes les castes, certains étaient chrétiens et cette mixité était conforme à la tradition gandhienne[1].
Le groupe de Delhi organisait des chantiers de week end et de court terme dans les bidonvilles, pour faire surtout du travail de nettoyage. Il s’agissait d’impliquer des étudiants pour les confronter à la réalité des conditions de vie dans cet environnement et aussi dans les villages. Il y avait aussi des échanges internationaux pour faire se rencontrer des gens de différentes cultures.

Rencontre avec le SCI et chantiers en Europe

Tout en poursuivant ma formation de professeur d’enseignement artistique, j’ai commencé à participer à des chantiers à Delhi. J’aimais beaucoup cela et je pensais en fait que les beaux-arts étaient un luxe, dans le contexte de grande misère de l’Inde. J’avais pensé aller en Egypte, lorsque j’ai appris que le SCI avait besoin d’un Indien pour rejoindre une équipe de volontaires internationaux sur un chantier, la léproserie d’Hatibari. C’était un établissement public, mais avec une gestion privée, qui manquait de personnel. Il fallait quelqu’un qui parle la langue pour coordonner le travail des volontaires avec la population du village voisin. C’était un endroit abandonné, où personne ne voulait aller.
Lorsque j’étais à la léproserie, j’ai été envoyé (en 1967) comme volontaire à long terme en Europe. J’avais pris le bateau à Bombay avec un volontaire du Bangladesh. Nous avons eu une session de préparation à Paris avec Dorothy (Abbott) Guiborat, puis je suis allé en Suisse et en Italie (Reggio-Emilia, Florence, Sienne). Mon séjour a duré neuf mois. Il y avait de grands programmes organisés par les branches du SCI en Europe et les volontaires passaient d’un chantier à l’autre. Ils étaient trois ou quatre par équipe.
En Suisse, près de la frontière autrichienne, l’Etat donnait une subvention partielle aux villageois pour des travaux ; ils se chargeaient du reste, avec le concours de volontaires. Nous avons réparé une route et creusé une tranchée qui devait servir à construire un « pipe-line » pour acheminer le lait des troupeaux en haute montagne ! Il fallait aussi nettoyer le village après un éboulement. Je suis resté deux ou trois mois, puis je suis allé en Italie[2].
On pouvait se demander quelle pouvait être la justification de l’envoi de volontaires indiens dans des pays aussi riches et aussi avancés, mais l’idée était d’organiser des rencontres internationales, où les gens feraient connaissance. Et quand nous avons vu les paysans, nous avons eu l’impression qu’ils devaient se battre contre des conditions difficiles ; il y avait peu d’argent et les volontaires leur étaient utiles. C’était une très bonne expérience, bien que le temps très froid ait été dur pour les volontaires venus d’Asie du sud. Nous avions une bonne relation avec les paysans, ce qui était l’un des objectifs du chantier. A la fin de la journée, nous avions des discussions sur différentes questions (environnement, droits de l’homme) avec un volontaire allemand qui servait d’interprète.
L’Italie était naturellement beaucoup plus pauvre. Je suis allé ensuite en Angleterre, où mon frère était enseignant. J’ai été surpris de voir des quartiers qui étaient presque des taudis et où les conditions de vie n’avaient guère changé depuis un siècle, ce qui était bien différent de la Suisse. J’ai été bloqué pendant quelque temps, car le bateau français prévu pour le retour était en grève. Cela m’a donné l’occasion de travailler un peu pour le SCI en Angleterre. Je suis allé avec des groupes qui collectaient des fonds en allant chanter dans les pubs. C’était une expérience nouvelle !

Retour en Inde avec le Secrétariat

A la fin de mon séjour en Angleterre, Valli, qui était entre temps devenue Présidente de la branche indienne, m’a demandé de venir travailler au Secrétariat du SCI. J’ai d’abord répondu que je n’avais pas d’expérience de l’administration et que je n’étais pas fait pour le travail de bureau. Mais elle a insisté, en me disant qu’il y avait aussi d’autres types de travail à faire. Et c’était vrai.
Lorsque Devinder et Valli ont commencé à assurer le Secrétariat, ils étaient dans un garage et les volontaires couchaient sur la table pour la nuit. En fait, on prenait plaisir à vivre dans ces conditions difficiles. Nous avions cinq groupes en Inde, à Calcutta, Madras, Bombay, Delhi, etc… mais il n’y avait aucun salarié à plein temps au Secretariat. Le travail de bureau représentait environ 20% de mon activité ; l’essentiel consistait à organiser et à animer des chantiers. Il fallait aussi développer les groupes locaux et placer les volontaires à long terme. Nous organisions également des formations d’animateurs et nous avions des projets de longue durée comme la léproserie et un bidonville près de Madras (Cherian Nagar). Le SCI travaillait avec une organisation suédoise, à laquelle il a finalement transféré la responsabilité du programme, parce qu’elle était mieux organisée et avait plus de moyens.
Et à l’époque, le SCI ne croyait pas à des projets de longue durée.
Nous donnions une formation initiale aux volontaires qui partaient pour l’Europe et pour ceux qui venaient d’Europe. Elle durait trois jours et portait sur le pays, le climat, la culture, les difficultés possibles. Les volontaires à long terme étaient supposés avoir eu déjà une expérience des chantiers, mais plus tard – au cours des années 80 – les branches européennes ont envoyé en Asie des volontaires qui n’avaient rien à faire avec le SCI et ses idéaux. C’était parfois très difficile pour nous et il nous a fallu le dire à ces branches. En Asie, nous étions très stricts sur ce point : il était très important que les volontaires puissent dialoguer et participer à des discussions.
Il y avait un projet de longue durée au Bihar, dans une région isolée où la population tribale n’avait pas d’eau et où le SCI avait organisé quatre écoles du soir pour les enfants qui travaillaient dans la journée avec leur famille et où ils pouvaient coucher. Nous utilisions la vidéo (fonctionnant sur piles, faute d’électricité) avec des films éducatifs. Le SCI recueillait des fonds pour acheter des tuiles pour les toits et les villageois construisaient le reste avec des matériaux locaux. Les enfants étaient très enthousiastes, mais les prêteurs, qui exploitaient les villageois, étaient très mécontents. Ils avaient l’habitude de couper les arbres pour les vendre ; le SCI a cherché à les en empêcher. Ils les ont menacés et parfois battus. C’était une région où sévissait la malaria et beaucoup de volontaires ont été atteints.
Lorsque le Gouvernement de Delhi a mis en oeuvre un programme de destruction des bidonvilles, leurs habitants ont été transférés dans des endroits où il n’y avait pas d’eau, ni d’équipements publics. Le SCI a créé un dispensaire, des programmes d’enseignement et de formation professionnelle et des ateliers pour les enfants. Lorsque ces programmes sont devenus trop importants, l’administration les a pris en charge. Un autre projet se situait dans une zone frontière interdite, mais le SCI a été autorisé à y travailler. Il jouissait d’une bonne réputation auprès des autorités, car il avait été constamment actif depuis l’Indépendance.
Les villageois étaient surpris de voir des blancs manier la pelle et la pioche. Ils ne pouvaient imaginer qu’ils soient volontaires et c’était une grosse surprise, en particulier pour l’ancienne génération. Parfois, les villageois pensaient qu’ils pourraient faire eux-mêmes le travail plus rapidement que les volontaires, qui se fatiguaient et souffraient de la chaleur. J’ai vu aussi en Suisse que la population locale, qui travaillait dur, avait parfois l’impression que les volontaires n’en faisaient pas assez : c’était souvent des étudiants, peu faits pour le travail manuel et peu entraînés, par exemple pour transporter des sacs de ciment. On voyait aussi des volontaires venir avec leur instrument et faire de la musique.
J’ai donc été pendant un certain temps le seul volontaire à plein temps au sein du Secrétariat national pour m’occuper de toutes ces activités. Puis j’ai été nommé Secrétaire national avec un salaire. Il faudrait aussi mentionner les chantiers d’urgence à la suite de catastrophes naturelles, qui duraient trois ou quatre mois. Au cours des années 60 en particulier, le SCI était très impliqué dans ce type d’activité et dans les programmes pour réfugiés.

Le Secrétariat asiatique

Au total, j’ai passé environ 30 ans avec le SCI. En 1974, je suis devenu Secrétaire asiatique et je suis allé au Sri Lanka, en Indonésie, en Corée et au Japon. J’aidais les groupes locaux à organiser des chantiers et je visitais les écoles et les établissements d’enseignement supérieur pour leur parler du SCI. Il y avait des chantiers de différentes durées, parfois dans des régions lointaines, comme à Chieng Maï en Thaïlande. A cette époque, le Secrétariat asiatique bénéficiait d’une certaine aide financière pour ce type de travail, tandis que les volontaires européens étaient aidés par leurs gouvernements, qui leur payaient le voyage et les indemnités de séjour. C’était une aide importante pour le SCI, qui avait beaucoup d’activités en Asie.
Il y avait à l’époque de grands programmes, par exemple sur l’environnement et sur l’éducation pour la paix. Vers 1970, en Europe la priorité était donnée à la lutte contre la prolifération nucléaire, alors que nous considérions que pour nous ce n’était pas la guerre ou la bombe, mais la lutte contre la pauvreté et l’exploitation et pour la santé qui étaient importants. Ces programmes se déroulaient dans les établissements scolaires, où l’on incitait les élèves à écrire des rédactions, à créer des affiches et à participer à des marches pour la paix. Nous aidions à collecter des fonds et à faire de la publicité pour ces programmes. Beaucoup de chefs d’établissement demandaient qu’on les aide pour ces activités, par exemple à Delhi, mais aussi au Népal et au Sri Lanka. Des volontaires indiens expérimentés aidaient les autres branches à organiser des marches pour la paix.
Une partie des problèmes que nous avons rencontrés étaient liés à la situation politique, par exemple en Indonésie, où nous ne pouvions pas travailler, ou en Inde, que Sato a dû quitter avec un mois de préavis au moment de l’état d’urgence. Et par la suite l’Inde a refusé de donner un visa à des organismes comme le Peace Corps, qui était soupçonné de faire une sorte d’espionnage. Le SCI n’a pas eu ce genre de problèmes, car il était connu depuis longtemps et ses animateurs étaient indiens, mais il fallait des mois pour obtenir un visa, au lieu de quelques jours. C’est pourquoi nous avons démarré de nouveaux programmes, avec des volontaires venant pour deux ou trois mois comme touristes prenant part à des activités éducatives et culturelles.

Problèmes et changements au sein du SCI

Au niveau international, nous avons vu l’impact des mouvements gauchistes, en particulier au Sri Lanka, où quelques membres de l’association étaient à la fois gauchistes et très dynamiques. Ils étaient en conflit avec d’autres branches en Asie. C’était aussi le cas des branches belge et italienne et il y avait des discussions très vives dans les réunions internationales. Il y a eu pendant un temps une Commission « Solidarité pour les échanges et l’action volontaire ». Mais les autres branches asiatiques n’étaient pas concernées.
A la fin des années 70, comme le Secrétariat international et le Secrétariat asiatique sont apparus trop coûteux pour les ressources de l’association, ce dernier a été dissous et il n’y a plus eu qu’un seul coordinateur pour l’Asie. Les réunions de Comité, trop coûteuses, ont été supprimées. Le Comité international comporte moins de membres et se réunit moins souvent. Auparavant, avant chaque réunion internationale, des séminaires étaient organisés sur des thèmes particuliers, avec des financements spécifiques reçus de certaines organisations. Peu à peu, ces organisations ont refusé de financer des chantiers (sauf pour les interventions d’urgence ou dans les bidonvilles) et n’ont plus financé que des formations et des réunions. Le SCI a été très affecté, puisque sa vocation première consiste à organiser des chantiers. Après la venue de Marie-Catherine (voir ci-dessous), nous n’avons plus reçu de volontaires à long terme, ni organisé de chantiers de longue durée qui exigent trop de moyens.
Au cours des années 80 (et encore aujourd’hui pour quelques branches), certaines branches ont eu tendance à fonctionner comme d’autres organisations, à faire de la publicité avec des brillantes brochures et ainsi de suite, quitte à y consacrer une grande partie de leurs ressources. Il a été parfois suggéré d’organiser des loteries pour recueillir des ressources, mais nous avons refusé. De même, il y a une tendance à accueillir toutes sortes de candidats volontaires, qui ne se soucient pas des idéaux du SCI et ne sont intéressés qu’à voyager. Il faut être clair : s’agit-il de faire un travail social quelconque ou de réaliser des programmes spécifiques conformes à l’esprit du SCI ? La plupart des chantiers sont aujourd’hui conçus à grande échelle. Cette orientation commerciale s’explique par le manque d’argent : trouver davantage de volontaires et d’adhérents est un moyen d’avoir des ressources.
Ethelwyn Best, qui a passé de longues années en Inde, insistait pour prendre le bus, même après 80 ans. Ralph et elle lisaient tout ce que nous leur adressions de l’Inde et envoyaient leurs commentaires. Ethelwyn venait toujours aux réunions. Elle était très mécontente du comportement des nouveaux volontaires et des nouvelles manières de penser. Tout cela ne lui paraissait pas sérieux. Elle critiquait la manière dont certaines branches employaient un nombreux personnel et fonctionnaient avec le formalisme d’une grande bureaucratie. Le SCI était devenu très institutionnel.
Les gens d’aujourd’hui ne comprennent pas toujours l’esprit du SCI. Ils veulent être plus professionnels et traiter d’un large éventail de problèmes, comme les droits de l’homme, la situation de la femme, l’environnement, etc... Il nous a fallu parfois rappeler que nous n’étions pas un organisme social, mais une organisation de chantiers.
Une question préoccupante aujourd’hui, c’est la montée des sentiments anti-islamistes partout dans le monde. Il faut faire quelque chose dans ce domaine, sinon cela va exploser. C’est une question critique aujourd’hui.

 

[1]D’après les souvenirs de Marie-Catherine Petit cependant, cette mixité était limitée et il y avait une forte proportion de volontaires venant des castes supérieures (voir plus loin).

[2] Marie-Catherine (voir ci-dessous) qui a été volontaire ultérieurement dans le même village, raconte que les villageois avaient été très impressionnés par cet « Indien ».




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