the SCI Archives the SCI Archives
Preface

Origin of the text
Olivier Bertrand: Breaking down barriers 1945-1975, 30 years of voluntary service for peace with Service Civil International.
Paris (2008)

see Table of Content

see english version 

  

“Esclaves volontaires”

by Arthur GILLETTE

Arthur Gillette

Vous êtes-vous parfois demandé quelle était l’origine de l’expression : «service volontaire » ? Il y a probablement plusieurs réponses possibles. Suivant la plus vraisemblable, mais aussi la plus inattendue étant donné l’usage actuel, elle proviendrait des mots latins voluntas et servus. Si l’on rapproche ces deux mots, il faudrait les traduire par : « faire volontairement le travail d’un esclave » ! Et pour à peu près la même rémunération…

Un service non rémunéré a longtemps semblé un comportement étrange (et c‘est parfois encore le cas de parents et de camarades des volontaires, mais aussi des communautés qui les accueillent). Pourtant, dans une perspective historique à long terme, ce n’est pas une aberration. Dans presque toutes les sociétés pré-industrielles, le travail en commun avec une aide mutuelle contribuait à la survie de ces sociétés et plus particulièrement des groupes et individus vulnérables. Jusqu’à un certain point, cette tradition se perpétue ici et là. Dans certaines sociétés africaines par exemple, les adolescents sont responsables de l’entretien des huttes des veuves. Leur récompense ? Savoir qu’ils sont utiles à des voisins qui en ont besoin et la reconnaissance de la communauté acquise pendant cette période de leur vie. On pourrait trouver d’autres exemples en Asie et en Amérique latine et même dans certaines sociétés industrielles

On pourrait aussi observer les vendanges dans les exploitations familiales, par exemple en Toscane. On pourrait se demander comment de modestes fermiers ont les moyens de rémunérer la nombreuse main d’œuvre nécessaire pour finir les vendanges à temps ? En fait, il n’y a pas d’échange monétaire : tous partagent le bon repas offert par l’hôte, sachant que chacun a eu ou aura son tour.

Suivant cette interprétation, c’est l’industrialisation qui joue le rôle du vilain, avec son système de valeurs de plus en plus fondé sur la monétarisation : « Combien coûte ce vêtement » ? « Comment peut-il se payer cette voiture » ? Avoir plutôt qu’être. Sans parler de l’isolement et de l’anonymat qui résultent fréquemment de l’urbanisation, corrélée avec l’industrialisation.

Je ne voudrais pas donner une image excessivement rose des sociétés pré-industrielles dans lesquelles la vie était (est toujours) généralement courte et dure, mais où elle est aussi partagée

Comme il apparaît clairement à la lecture des témoignages figurant dans ce recueil, le partage est au coeur de l’expérience collective et individuelle des volontaires du Service Civil International. Depuis le début cette expérience a été originale. Le tout premier chantier du SCI, organisé en 1920 dans le village d’Esnes, près de Verdun, ravagé par la guerre regroupait des volontaires d’origines très variées, y compris deux anciens soldats de l’armée allemande. Les villageois ont trouvé cette équipe étrange, mais, incités par Madame X, ils n’ont pas aimé voir des « ennemis » réparer leurs maisons et leurs routes. Après cinq mois, les volontaires ont reçu un ultimatum : ils pouvaient continuer, à condition de renvoyer les « ennemis ». C’était remettre en cause le premier principe qui avait inspiré cette expérience, de sorte que le chantier s’est terminé prématurément.

Pendant très longtemps, le SCI s’est retrouvé sur la frontière qui sépare les principes et la réalité et, comme certaines autres organisations de chantiers, ses volontaires ont souvent suscité plus de surprise que d’indifférence. Comme étudiant près de Boston, à une époque ou le racisme était encore vivant dans différentes régions des Etats-Unis, j’ai souvent participé à des chantiers de week-end dans les quartiers misérables noirs et hispaniques de la banlieue de Roxbury. Je n’oublierai jamais le regard d’incompréhension que j’ai vu dans les yeux d’une mère célibataire portoricaine, quand elle s’est rendu compte que des étudiants blancs de Harvard allaient repeindre son triste logement. Notre récompense? Un premier contact direct avec le ghetto.

Ce type d’enrichissement réciproque constitue un progrès par rapport à la philanthropie traditionnelle, selon laquelle les membres bien intégrés de la société tendent une main secourable aux « défavorisés » pour les aider à les rejoindre, sans rien changer.

Le SCI n’est pas apparu brusquement comme une innovation totale. Si je ne me trompe, la cuisine aux chantiers de 1920 était assurée par une femme. Mais les stéréotypes sur la répartition des rôles selon le sexe ont été, non sans mal, peu à peu remis en cause. Dans un chantier international, qui construisait les fondations d’une école dans un kolkhoze ukrainien en 1960, beaucoup de volontaires masculins (moi-même compris) ont été impressionnés par la force et l’énergie d’une volontaire de Léningrad qui creusait des tranchées et préparait du mortier. C’était une danseuse professionnelle qui ne mesurait pas plus d’1 mètre 40. Lorsque son tour est venu de faire la cuisine, elle a ri en disant qu’elle était incapable de cuire quoi que ce soit. Je crois qu’elle a fini par faire la vaisselle.

Les questions politiques apparaissent souvent dans les pages qui suivent et restent délicates pour le SCI comme pour d’autres organisations de volontaires. Il n’y pas de réponse facile à cette question sensible. L’écrasement du soulèvement de Budapest par les Soviétiques en 1956 (au moment même où commençaient les chantiers de volontaires Est-Ouest début symbolique mais hautement significatif de la volonté de remettre en cause le rideau de fer), et plus tard le printemps de Prague ont posé un dilemme : « Si nous continuons les échanges avec le bloc de l’Est, est-ce que nous donnons un accord tacite ou nous fermons les yeux de façon inadmissible sur la politique de force soviétique. Mais si nous ne continuons pas, ne contribuons nous pas à couper l’un des rares canaux de communication et de coopération entre les sociétés civiles des deux blocs ?

Pour la branche française du SCI, un grave cas de conscience s’est posé dans les années 50, avec la brutalité et le racisme non déguisé de la guerre d’Algérie et avec sa propagande insensée. Je me souviens du texte d’une affiche posée sur certains bureaux de poste près de Paris : « L’Armée française, artisan de la fraternité franco-musulmane » !

Le dilemme auquel certains d’entre nous étaient confrontés peut (avec quelque recul) être énoncé schématiquement comme suit : Faut-il préférer une église pleine de pêcheurs ou un monastère presque vide  ?

Cette question est liée à une autre, qui est évoquée dans les prochains chapitres : dans quelle mesure le SCI pouvait-il chercher une généralisation du volontariat ? Au milieu des années 60, U Thant, Secrétaire général des Nations Unies, déclarait : « J’aimerais voir le jour où tous les jeunes - ainsi que leurs parents et leurs employeurs - considéreront qu’une ou deux années de travail pour la cause du développement dans un pays lointain ou dans une partie défavorisée de leur pays constitueront un élément normal de l’éducation ». Quelle est la frontière à ne pas franchir se demandaient certains d’entre nous ? Autrement dit, jusqu’où le SCI peut il mettre de l’eau dans son vin ?

Une fois de plus, il n’y a pas de réponse simple. Mais cela ne m’a jamais préoccupé. Suivant mon expérience l’une des vertus et l’un des bénéfices du travail avec le SCI résultaient du fait d’être régulièrement confronté avec des problèmes ardus, aussi bien sur un plan philosophique que pratique. Cette remise en cause perpétuelle de soi-même et de ses camarades m’a aidé me semble-t-il à rester vigilant. Et c’est sans doute une raison pour laquelle à l’âge de 69 ans, je suis encore un « esclave volontaire ».

Autre aspect de la question de la généralisation : récemment, un nouveau type de tourisme international est apparu, parallèlement aux vacances soleil et plage dans le Tiers monde pour les citoyens du Premier monde : le tourisme solidaire. Par exemple à Bali, jusqu’aux récents attentats terroristes sur les lieux fréquentés par les touristes, il n’y avait guère de Balinais autres que les serveurs et les chauffeurs de taxi dans les enclaves touristiques. De manière surprenante, le choc des bombes a suscité une réaction positive : les familles de touristes peuvent passer un week-end à l’intérieur des terres dans de merveilleux paysages, pour participer aux travaux des champs et goûter les spécialités locales qu’ils ont contribué (et appris) à préparer.

Pour autant que je sache, je ne pense pas que le SCI ait eu un rôle direct dans cette évolution. Mais plus de 80 ans d’expérience des chantiers de travail volontaire ont pu contribuer à créer une atmosphère favorable à ce genre d’innovation.

Arthur GILLETTE

In 1968 Arthur pubslihed comprehensive history about youth voluntary service which was Published by PENGUIN BOOKS: One Million Volunteers - The Story of Volunteer Youth Service




Service Civil International - International Archives (2004-2024) - Conditions of Use - Contact