Perception du SCI par les volontaires
Les témoignages rassemblés ici portent avant tout sur des expériences individuelles, mais ils comportent aussi quelques éléments intéressant le SCI comme mouvement ou comme organisation.
a) Une conception plus large de l’engagement pour la paix
Après avoir passé en revue l’évolution du SCI et les itinéraires d’un groupe de volontaires, trois questions peuvent se poser au sujet de la période 1945-75, qui sont sans doute encore valables aujourd’hui :
- la dimension spatiale : la question de l’internationalisation ;
- la dimension temporelle, celle de l’évolution des objectifs et des orientations dans un contexte changeant, et de la fidélité aux origines ;
- la spécificité du Service civil International par rapport à d’autres organismes.
L’internationalisation peut poser des problèmes à la fois au niveau de l’universalité des valeurs (évoqué plus haut), mais aussi au niveau opérationnel, celui des attitudes et des pratiques. Dés la fin des années 50, dans ses lettre envoyées d’Inde, Dorothy Guiborat en évoquait quelques uns :
“Jusqu’à 1948, le SCI ne travaillait que dans un seul pays en voie de développement : l’Inde. A la fin des années 50, il est actif dans quatre pays d’Afrique et six pays d’Asie. Il devient de plus en plus important d’analyser les problèmes et les besoins de ces pays et de ne pas se satisfaire, comme on en avait l’habitude jusqu’ici, de penser que ce qui est bon pour l’Europe est également bon pour le reste du Monde. Heureusement, peu de gens pensent encore ainsi. Mais beaucoup n’ont pas encore entrepris l’effort nécessaire pour bien nous préparer à la situation de ces pays, de manière à ce que le SCI puisse apporter une assistance durable et variée à ces communautés ».
Aujourd’hui, Phyllis Sato considère aussi que la conception initiale du SCI était quelque peu eurocentriste et si les objectifs de paix et de compréhension mutuelle sont universels et ont pu être acceptés facilement par les Asiatiques, dans le fonctionnement courant les différences d’attitudes subsistaient. C’est la personnalité exceptionnelle de quelques-uns des dirigeants asiatiques qui a permis d’établir une communauté de vues totale et une amitié profonde avec les Européens.
On pourrait évoquer ici la biographie de Hiroatsu Sato, qui fait état de divergences entre Orient et Occident. Il reprochait aux Européens d’avoir trop tendance à voir le monde à travers leur prisme et de conserver une forme subtile de sentiment de supériorité et de paternalisme. Dans le même ordre d’idées, Elzabeth Crook note que le SCI organisait des échanges de volontaires sur une base égalitaire, alors que d’autres proposaient leur aide. On peut au moins rendre cette justice au SCI d’avoir, non seulement développé ses activités en Asie, mais aussi confié d’importantes responsabilités internationales à des Asiatiques, ce qui n’était pas courant à l’époque.
De son côté, Franco Perna a constaté des différences de point de vue et d’attitudes entre Asiatiques et Européens,. plus politisés et parfois tentés de remplacer le slogan « Pas de paroles, des actes » par « Des actes et des paroles ». On se serait alors bien éloigné de Pierre Cérésole. On a pu voir aussi que Nicole avait perçu des différences d’approche entre les branches européennes.
Arthur Gillette souligne que, suivant les cultures, les esprits sont plus ou moins préparés à l’idée d’un service volontaire. Il cite certains pays africains, où l’éducation comporte un apprentissage des droits et des devoirs vis-à-vis de la collectivité, qui sont spécifiques à certains groupes d’âge. L’idée d’une contrepartie à un droit (exemple celui d’aller à l’école) est répandue. Par conséquent les esprits sont volontiers préparés à l’idée d’un service volontaire.
Si l’on passe à l’évolution dans le temps du volontariat et de ses idéaux, on peut citer à nouveau E. Ottone qui écrivait en 1982 : «Bien que le volontariat international soit né sous le signe d’un humanisme pacifiste radical, il a été marqué par la suite par des idéaux très divers ». De son côté, au cours des années, 60, Arthur Gillette1 considérait toutefois que cet aspect de la lutte pour la paix constituait l’un des éléments de la spécificité du SCI, face à la multiplication des organisations de chantiers :
« La principale différence entre le SCI et d’autres organisations de chantiers avant guerre concernait l’engagement du SCI pour une réforme de la société. Les civilistes ne se satisfaisaient pas d’une amélioration des conditions sociales ; ils voulaient établir entre les hommes des relations nouvelles qui remplaceraient l’une des plus anciennes institutions, devenue inutile : l’armée. L’esprit du service civil était plus radical et les civilistes plus militants que les idéologies et les supporters des autres organisations de chantiers... Dans le courant idéaliste, le SCI était le seul organisme qui se fondait sur les chantiers de travail volontaire dans une perspective politique bien définie. Les civilistes n’étaient pas nécessairement pacifistes, mais les volontaires sur les chantiers donnaient explicitement leur accord pour participer à une démonstration de la faisabilité d’un service alternatif pour les objecteurs de conscience. Par conséquent, le SCI a pendant des années joué un rôle important, sinon même décisif, pour obtenir la reconnaissance de l’objection de conscience et pour mettre en œuvre un service pour les objecteurs de conscience en Grande-Bretagne, en Allemagne, en France et en Italie ».
Martin Pierce écrit que l’idéologie pacifiste était et demeure très valable, là où existe une conscription, mais il ne pense pas qu’avec son abolition dans beaucoup de pays le SCI ait trouvé une priorité de remplacement. De sorte que son rôle comme organisation pacifiste a diminué. Il ajoute que dans beaucoup de pays les objectifs de paix et de non-violence ayant paru trop limités, les branches du SCI ont eu tendance à diminuer le rôle des idéologies traditionnelles et à faire davantage de place aux aspects pratiques pouvant attirer des jeunes. Cela a privé l’organisation de son pouvoir et de son impact.
Pour beaucoup, construire la paix est resté l’objectif principal, avec la référence aux origines, mais avec une conception plus large, comme le montre par exemple la conclusion de Nicole Paraire : «Le SCI, c’est d’abord construire la paix par des actions concrètes... On s’est battus avec les objecteurs de conscience pour leur expliquer : ‘quand il y a des injustices dans le monde, bien sûr que c’est ça la cause de la guerre. Si on se bat pour lutter contre les injustices, on construit la paix’ ». Ou encore Jean-Pierre Petit : « Lorsqu’il se passe quelque chose dans l’esprit du SCI, dans un mélange de convictions, de races, dans la tolérance pour une action concrète, manuelle autant que possible, qui constitue un service dans une société, c’est un acte de paix strictement dans l’esprit de Pierre Cérésole ».
On peut néanmoins se poser la question de savoir si un élargissement excessif des objectifs ne risque pas de diluer les efforts et de mettre en cause la spécificité du SCI. C’est du moins la préoccupation de Bhuppy Kishore, quand il rappelle qu’il n’est pas un organisme social et humanitaire2.
Si la recherche d’un idéal de paix a joué un plus grand rôle au SCI qu’ailleurs, comme on l’a noté plus haut, l’engagement des volontaires a perdu le caractère chrétien qu’il avait avec Pierre Cérésole et, de ce fait, la relation avec les églises et les religions ne semble pas avoir posé de problèmes pendant la période qui nous occupe. En revanche, le problème de son orientation s’est davantage posé à deux niveaux : vis-à-vis de l’extérieur, face au contexte politique national et international; à l’intérieur, face à l’évolution des idéologies à caractère politique.
b) Débats sur la politisation du SCI
Le contexte politique a joué un rôle important, d’abord avec le conflit Est-Ouest. Nelly Forget et Dorothy Guiborat ont été parmi les premières à travailler dans les pays de l’Est de l’Europe et l’on a pu lire les attitudes opposées de leurs homologues tchèques et polonais. Puis des échanges ont été organisés, comme le rapporte Arthur Gillette, qui évoque le rôle pionnier joué par le SCI. Il en est résulté des tensions, d’une part avec les mouvements communistes qui auraient souhaité engager davantage le SCI, et à l’inverse avec ceux qui craignaient cet engagement. Arthur conclue de ces expériences que le SCI avait peu prouver que la méfiance entre les deux camps n’était pas inévitable. Max Hildesheim a eu une image très positive de son expérience en Moldavie (ce n’était pas la Russie et c’était l’époque de Khrouchtchev).
En France et au Maghreb, l’engagement vis-à-vis de la guerre d’Algérie a joué un rôle essentiel et posé des problèmes difficiles : comment lutter pour l’indépendance contre la politique de son propre gouvernement et affronter la répression (témoignages de Mohamed Sahnoun, Nelly Forget et Claire Bertrand). Il y a aussi des exemples d’interférence indirecte de la politique dans l’action du SCI. Une volontaire regrette par exemple l’interruption brutale d’un chantier au Maghreb, apparemment parce que le financeur avait été choqué par la mobilisation des volontaires maghrébins contre Israël lors de la guerre de 1967.
A l’intérieur du mouvement, ce sont surtout les idées et les manifestations des étudiants au cours des années 60 et 70 qui ont eu leurs répercussions, comme le montrent de nombreux témoignages (Bhuppy Kishore, Franco Perna, Jean-Pierre Petit, Hiroatsu Sato, Thédy von Fellenberg, Valli Seshan). Ils font apparaître deux types de divergences qui se recoupent en partie. D’abord entre ceux qui souhaitaient une politisation plus grande du mouvement et ceux qui la refusaient en s’appuyant sur la tradition. Ensuite, entre les représentants des pays occidentaux et ceux des pays asiatiques, beaucoup moins concernés par ces idées et qui avaient d’autres priorités.
Les conflits nationaux ont eu leurs répercussions sur l’organisation des chantiers et sur les discussions entre volontaires. Les responsables asiatiques ont obtenu quelques résultats pour surmonter l’hostilité entre Indiens et Pakistanais. Mais si l’on se fie aux souvenirs de Devinder das Chopra et de Claire Bertrand, malgré l’idéologie de paix du SCI, cela semblait plus difficile pour Israël et la Palestine, durant les premières années qui ont suivi la création de l’Etat d’Israël.
c) Une organisation ou un mouvement ?
Avant d’aborder les assez rares commentaires portant sur ce thème, la question peut se poser : le SCI est-il une organisation ? La réponse de Franco Perna3 est particulièrement intéressante : « J’ai fréquemment utilisé le terme ‘mouvement’, plutôt que service, or organisation ou – pire encore – agence. C’est intentionnel, car j’ai connu le SCI comme un mouvement d’hommes et de femmes pour lesquels la manière de procéder a été généralement plus importante que l’objet de l’action ». Il ajoute que « si l’on reste assez longtemps et si l’on veut bien chercher, on peut découvrir ce que certains appellent un ‘esprit du SCI’, que je n’ai pas découvert d’un seul coup et dont l’existence m’a souvent paru douteuse. Mais cela correspond à la nature du SCI, un champ largement ouvert à toutes sortes d’expériences. L’esprit du SCI n’est pas simplement quelque chose que vous trouvez, mais plutôt quelque chose que vous contribuez à créer en procédant à cette recherche ». Valli Seshan rejoint cette analyse lorsqu’elle souligne que le SCI a toujours été centré sur les personnes et non sur les structures et les institutions. Plus récemment peut-être et pour certaines branches, Jean-Pierre Petit considère que l’on s’est trop préoccupé de problèmes de structure, alors que l’organisation était faible.
Franco donne aussi une plaisante description de la manière dont le SCI fonctionnait : « Il n’a jamais offert des idées toutes faites ou des cadres précis. Il fallait d’abord tester vos idées. Un exemple frappant est celui de Ralph Hegnauer, qui montrait toujours un grand enthousiasme quand quelqu’un venait avec une proposition ; mais il ajoutait aussitôt, d’un ton calme mais persuasif : « c’est vraiment une bonne idée ; il faut aller de l’avant et la mettre en œuvre ». Bien entendu, beaucoup de propositions n’allaient pas plus loin, mais quelques-unes si, et au cours de ce processus les gens concernés en tiraient une grande satisfaction tout en apportant une contribution importante au mouvement ».
Malgré tout, le SCI comporte un Secrétariat international, des branches avec des Secrétariats nationaux, un personnel permanent et des organismes décisionnels. Il faut donc quand même parler d’une organisation, même si elle est spécifique. Et comme tant d’autres, il a été confronté (et l’est sans doute encore) à un dilemme : faut-il privilégier la fidélité aux origines et sa spécificité, au risque de demeurer modeste et marginal, ou bien faut-il chercher à se développer sur une plus grande échelle, au risque de perdre son âme ? . Dans le second cas, cela implique presque nécessairement le passage à un certain professionnalisme, mais sans doute aussi une bureaucratisation, ou du moins une institutionnalisation. C’était déjà une préoccupation de Ralph Hegnauer, l’un des piliers du SCI pendant des décennies.
Ce dilemme a évidemment une implication pour le financement. A cet égard, on peut à nouveau citer lé document de l’Unesco suivant lequel le problème du coût du volontariat s’est posé de manière de plus en plus aiguë avec le développement de cette activité. Et bien que ce soit rarement évoqué par les témoignages, le fonctionnement et même les orientations du SCI ont été sérieusement affectés par l’insuffisance de ressources. Bhuppy Kishore fait allusion à ce dilemme, tout en regrettant la tendance de certaines branches à fonctionner dans un style professionnel et à perdre le caractère volontaire du mouvement. Kader déplore aussi la modestie des moyens.
Dans un courrier depuis l’Inde, Dorothy Guiborat exprimait déjà au cours des années 50 de fortes réserves vis-à-vis d’une grande organisation comme le Bharat Sewaj Samaj, vis-à-vis de laquelle le SCI risquerait de perdre son indépendance. Plus récemment, les mémoires de Nicole Paraire font bien ressortir une constante du mouvement : son indépendance vis-à-vis des institutions et son rapport différent avec l’argent, car le développement d’échanges égalitaires et l’établissement d’une relation amicale sont incompatibles avec un fonctionnement coûteux et avec des relations monétaires. Mais un minimum de ressources reste nécessaire : comment les trouver sans perdre son indépendance et face à la concurrence des organismes à la recherche de donateurs ? C’est un problème permanent.
Un autre thème est celui de la décentralisation. Paulette se préoccupait de savoir si elle n’était pas allée trop loin, au risque de perdre l’unité du mouvement. A l’inverse, Hiroatsu Sato appréciait le fait que le SCI était à la fois une organisation internationale et nationale : l’autonomie laissée aux régions et aux branches a permis une adaptation aux particularités culturelles.
Sans revenir sur l’histoire du développement du SCI, on a pu constater que les témoignages recueillis, s’ils concernaient relativement peu les chantiers traditionnels d’été et de week-end et les chantiers d’urgence, apportaient une bonne illustration de la diversification et de l’internationalisation des activités :
- les chantiers pour les objecteurs de conscience (Emile Bernis),
- les relations Est-Ouest avec les pays socialistes (Arthur Gillette, Max Hildesheim, Valli Seshan),
- les échanges « Orient-Occident » de volontaires à long terme (nombreux exemples) les échanges dans le cadre du programme « Femmes et développement » (Nicole Paraire) ,
- le travail avec les handicapés (Dorothy Guiborat, Jean-Pierre Petit).
Le développement et la diversification de ces activités illustrent une évolution plus générale du service volontaire, que le SCI a souvent précédée en jouant un rôle de pionnier. C’est notamment le cas pour les chantiers Est-Ouest et plus encore pour l’orientation vers le développement4. Resterait à savoir si, face à cette diversification, il faut se poser la question de la fidélité aux origines, déjà évoquée à propos des objectifs. Il y est fait allusion au sujet d’Hiroatsu Sato, qui considérait qu’une adaptation des activités était nécessaire, en restant dans l’esprit de Pierre Cérésole. Il soulignait que le maintien des principes devait permettre d’éviter que les actions du SCI se transforment en simples rencontres à caractère social. On a vu qu’il était toujours prêt à trouver des actions innovantes adaptées au contexte dans lequel il se trouvait, y compris aux Etats-Unis.
Martin Pierce regrette que l’on n’aie pas suffisamment confiance dans l’application de la méthode des chantiers dans les situations dans lesquelles des changements politiques et sociaux étaient possibles et il regrette que de son temps on aie préféré les situations de sécurité aux challenges. Bhuppy Kishore souligne de son côté que le SCI est une organisation de chantiers et semble regretter que l’on s’en soit parfois trop écarté.
De leur côté, Dorothy Guiborat, Kader Mekki et Nicole Paraire insistent sur la nécessité d’une plus grande continuité des actions, rejoignant un point de vue exprimé dés 1948 dans le Courrier de l’Unesco par Pierre Martin. Il craignait qu’il reste peu de choses, en dehors des réalisations concrètes du chantier de Kabylie et des apprentissages que les volontaires avaient tenté d’apporter. Pour Dorothy, le SCI n’a pas suffisamment construit sur ce qui a été fait : passer deux mois dans un village suscite la sympathie, mais une fois les volontaires partis, il n’en reste rien. Un suivi serait souhaitable. Et Nicole insiste sur la durée nécessaire pour établir et maintenir une relation, apport essentiel du SCI : Quand on envoie des gens en chantier, on leur dit : « l’important, c’est d’y retourner et de retourner au même endroit »
Qu’est-ce que l’efficacité ?
Le thème de ce recueil illustre bien la relativité de la notion d’efficacité et les diverses interprétations que l’on peut lui donner. On pourrait citer à cet égard un document de l’Unesco datant de 1982 : «Toutes les formes de service volontaire ont une triple dimension : a) les résultats, ou la valeur objective, sur le plan pratique, du travail réalisé, en termes de contribution effective apportée à une communauté, que ce soit à l’échelle locale ou nationale, dans le domaine économique, social ou culturel ; b) la valeur d’auto-éducation et d’auto-formation de ce type d’activité pour ceux qui y participent ; c) son aspect précurseur, annonciateur d’une autre forme plus humaine et plus noble de rapport de l’homme à son travail et sa qualité d’expérience solidaire »5
Recoupant en partie cette distinction, l’analyse des témoignages conduit à distinguer l’appréciation des résultats concrets à court terme, l’impact à plus long terme sur l’environnement et l’effet sur les volontaires eux-mêmes (qui fait l’objet de la dernière partie).
Du point de vue de l’efficacité concrète et à court terme des actions auxquelles ont participé les volontaires, ils font preuve de beaucoup d’objectivité et ne craignent pas d’être critiques. Avant d’en tirer des conclusions, il faudrait d’abord rappeler qu’ils ne sont pas représentatifs et en particulier qu’ils ne concernent pratiquement pas les grands chantiers d’urgence, dont les résultats étaient très concrets et qui étaient organisés de façon plus professionnelle par exemple par Pierrot Rasquier et Etienne Reclus en France. Jean-Pierre Petit évoque des résultats spectaculaires pour les importants chantiers de Tlemcen après la guerre, qui ont notamment permis de sauver des vies. Egalement en Algérie, le témoignage de Nelly montre que le SCI a pu jouer un rôle important de pionnier pour la mise en place des Centres sociaux, qui ont constitué un moment historique.
Un certain nombre de volontaires sur des chantiers traditionnels de construction ont constaté des résultats modestes, qui pouvaient être imputés, soit au manque de ressources, soit plus souvent aux défaillances de l’organisation. C’était notamment le cas de David Palmer en Algérie. Il compare son expérience dans ce pays et en Iran, où le chantier était sous la responsabilité d’un organisme officiel disposant de gros moyens. Cet exemple pose implicitement un double problème :
- l’envoi de volontaires sur des chantiers dont la responsabilité est assurée par des organismes autres que le SCI, qui est inévitable dans beaucoup de pays, donne-t-il des garanties sur l’objectif du chantier, l’esprit dans lequel ils est conduit et son organisation ?
- faut-il rechercher plus de professionnalisme, au risque de sacrifier l’esprit dans lequel on travaille et l’objectif final recherché ?
Concernant l’action médicale, Elizabeth Crook, qui constate que son action a été limitée par le manque de moyens. Marie-Catherine Petit et Nicole Lehmann ont une vision modeste de l’utilité de leur apport sur le plan médical. Nicole va jusqu’à dire qu’elle n’avait presque rien à apprendre aux mères africaines
A propos du professionnalisme, Thedy von Fellenberg évoque avec franchise sa frustration vis-à-vis d’un travail rarement bien organisé, mais il conclut : «Chose étrange, malgré l’amateurisme, la faiblesse, je dirais même la naïveté du SCI – ou peut-être justement à cause de cela – aucun autre mouvement ne m’a autant conditionné pour toute ma vie ». De même, suivant Martin : un aspect admirable du SCI, c’est que ses volontaires peuvent être peu productifs, mais que leurs aspirations et leur engagement font la différence.
Dés les années 50 en Inde, Dorothy Guiborat posait la question de la valeur matérielle de l’aide apportée par les volontaires, soulignant d’une part que les coûts, si modestes soient-ils étaient relativement élevés par rapport aux normes des pays pauvres et que la main-d’œuvre y était abondante. Et elle concluait que l’important c’était la valeur humaine d’un travail jusque là associé aux plus basses classes sociales. Le fait que la relation humaine et non pas le résultat concret soit l’essentiel est illustré par la rencontre de Thedy, qui raconte à Valli Seshan sa déception et sa frustration. Et celle-ci lui répond que l’important, c’est de savoir s’il s’est fait des amis. On retrouve ce thème dans une grande partie des témoignages.
C’est également Valli qui, après une longue expérience internationale avec différentes organisations, tire une conclusion globalement très positive du rôle pionnier du SCI. Elle rappelle qu’il y a près de 50 ans il prenait l’initiative d’envoyer des volontaires indiennes en Europe, d’aider les objecteurs de conscience, de s’impliquer avec les Algériens avant et après l’Indépendance, de travailler à la fois en Inde et au Pakistan et d’échanger des volontaires entre ces pays, d’organiser des échanges Est-Ouest. Elle est surtout la seule à souligner que les chantiers du SCI ont anticipé sur les principes modernes de développement personnel, de travail en équipe et d’animation, de résolution de conflits, etc.
D’autres témoignages vont dans le même sens, souvent en soulignant la spécificité du SCI. Ainsi, Juliet Pierce et Sato, lorsqu’ils soulignent la contribution au progrès de la compréhension internationale, malgré la persistance de différences.
- Arthur Gillette: One Million Volunteers. Penguin, 1968.
- Ernesto Ottone : Antécédents, potentialités et possibilités d’utilisation de volontaires par l’Unesco, Unesco, 1982.